Politologue français d’origine algérienne, Youcef Fates est un observateur avisé du comportement des supporters dans les stades algériens. Pour Afrik-Foot, il explique que les mesures répressives adoptées par les pouvoirs publics demeurent insuffisantes pour éradiquer la violence des enceintes sportives. Pour ce maître de conférences à l'université Paris-X, le vrai remède commence à l’école, par l’éducation à la citoyenneté.
Youcef Fates, un an jour pour jour après la mort d'Albert Ebossé, il semble que la situation sécuritaire dans les stades en Algérie ne s’est pas améliorée. Pensez-vous que les pouvoirs publics et les instances sportives prennent le problème suffisamment au sérieux ?
Je pense qu’ils prennent le problème au sérieux, oui. Sauf que les solutions ne sont pas techniques, ni conjoncturelles. Il faut reposer le problème dans toute sa grandeur et sa multidimensionnalité. Il est vrai qu’aujourd’hui la violence fait partie, entre guillemets, du mode de vie des Algériens d’une manière générale et plus spécifiquement dans le sport.
Annoncée en septembre 2014 dans la foulée d’une réunion interministérielle, où en est la mise en place de systèmes de vidéosurveillance dans les stades ?
Personnellement, je n’ai pas plus d’informations à ce niveau, je suis plutôt un observateur de la vie sociale et surtout du comportement de la jeunesse, en particulier dans les stades. Il est vrai que depuis très longtemps, la Fédération algérienne de football (FAF) a convoqué des experts étrangers concernant la mise en place de technologies très sophistiquées pour la surveillance. Donc il existe effectivement un réel désir d’enrayer cette violence. Mais je le répète, la question de la violence doit être posée à sa source. Elle est historique, c’est une dimension de la société algérienne. Revoir la question des stades uniquement sous l’aspect technique (équipement, encadrement) est à mon avis très insuffisant. Il faut reposer le problème dans toute sa multidimensionnalité. Il faut pacifier la société algérienne, refaire une sorte de révolution culturelle où la violence doit être bannie et maîtrisée.
“En chaque supporter algérien sommeille un violent“
Les solutions sont donc davantage à chercher du côté de l’éducation que de la répression ?
Tout à fait. Il faut reposer la question de la pacification des mœurs d’une manière générale dans le système éducatif. L’école joue un rôle fondamental dans la formation du citoyen. Et la citoyenneté passe aussi par l’acceptation de règles, du savoir-vivre et du vouloir-vivre ensemble, dans la tolérance. Or la jeunesse d’aujourd’hui, frustrée, ne trouve qu’un seul endroit où elle peut exprimer son ras-le-bol, son dégoût et son manque d’équilibre : les stades. Les pouvoirs publics considèrent ce vecteur comme une soupape de sécurité, sinon la jeunesse se détournerait vers d’autres problèmes, sociaux, politiques, etc.
Donc les pouvoirs publics n’ont pas forcément intérêt à enrayer la violence dans les stades ?
En effet, je crois que ce laisser-faire permet l’extériorisation de la violence sur la scène sportive. Pour le pouvoir, il vaut mieux qu’elle se manifeste dans les stades, plutôt que de la voir déborder dans la rue, dans l’espace public. Comme elle est circonscrite dans un espace bien fermé, le pouvoir public l’utilise pour s’assurer un sas qui lui permet de s’extérioriser.
“Les huis clos ne résoudront pas le problème“
Dans la semaine, la FAF a annoncé que les supporters “violents et récidivistes” seront désormais interdits de matches à l’extérieur. Est-ce une mesure applicable en l’état avec les manquements que l’on connaît concernant la fouille à l’entrée des stades ?
Non, je ne pense pas. Plus encore, en chaque supporter algérien dort un violent. Il peut se réveiller à n’importe quel moment dans certaines conditions. A mon avis, ce ne sont pas les supporters identifiés comme “violents” qu’il faut contrôler ou maîtriser. Il y a tous les autres ! Les jeunes connaissent tout un tas de moyens de détournement. Ils arrivent à faire entrer des moyens pyrotechniques et plein de choses dans les stades. Donc, comme je le dis, contrôler, c’est bien, réprimer, ok, mais ce qu’il faut c’est éduquer, éduquer, éduquer.
34. C’est le nombre de huis clos prononcés par la LFP en Ligue 1 en 2014/15, dont 9 à l’encontre de la JS Kabylie à la suite de la mort d’Albert Ebossé. En Ligue 2, 24 matches se sont déroulés à huis clos la saison passée. |
La Ligue de football professionnel (LFP) va quant à elle durcir le ton avec les clubs en laissant planer la menace de huis clos applicables à toute une phase de championnat en cas de récidive. Cette politique vous paraît-elle efficace ?
Non. Si vous étudiez l'histoire de la violence en Algérie depuis l’époque coloniale, vous vous apercevrez que depuis très longtemps, des mesures de coercition, de répression, techniques, comme le huis clos, ont été prises et n’ont pas permis d’enrayer la violence. Le huis clos ne fera que frustrer les jeunes, qui se trouveront encore dépossédés d’une de leur passion. Donc le huis clos ne résoudra pas le problème. Ou alors, peut-être momentanément, mais à mon avis il ne ferait que redoubler leur férocité. Leur frustration risque de conduire à une aggravation.