Dans la seconde partie de l’entretien qu’il a accordé en exclusivité à Afrik-Foot.com, l’ancien sélectionneur du Sénégal, Amara Traoré, revient sur le développement du football au pays, le lien particulier qui l’unit toujours au club de Gueugnon mais aussi sur sa relation avec Aliou Cissé et ses ambitions pour le futur.
Entretien réalisé par Yoro Mangara
Quels sont vos objectifs avec le club de La Linguère dont vous êtes le président ?
Il y a le temps des droits et celui des devoirs. La Linguère, c’est le club de ma ville, mon équipe de cœur, mon ADN. Quand je vois les gens supporter le FC Barcelone, le Real Madrid, ça me fait rire. Je supporte deux équipes : la Linguère de Saint-Louis et l’équipe du Sénégal.
Les « Forgerons » (surnom de son ancien club de Gueugnon) sont vexés là…
Les Forgerons, c’est autre chose. Les Forgerons et moi, je n’ai pas de mots pour décrire cela. Mais mes équipes de cœur restent la Linguère et le Sénégal. Saint-Louis est ma ville de naissance et l’équipe du Sénégal, c’est la patrie, c’est plus fort que tout. Lorsque je suis revenu de France, j’ai pris ce club aux bords de la 3ème division pour le hisser en Ligue des champions africaine, en tant qu’entraîneur. Lorsqu’on m’a ensuite sollicité pour diriger ce club, j’ai de nouveau accepté, d’être président à plein temps et de manière bénévole. J’ai mis en stand-by mon boulot de coach pour essayer de structurer ce club avec les membres du comité directeur du club, et le concours de tous les supporters de la Linguère de Saint-Louis. Nous sommes en train de bâtir un club avec un système où personne ne sera indispensable, exceptée l’organisation. À partir de là, je compte quitter tranquillement la présidence pour retourner à ce que je sais faire : entraîner.

“Président ? Je n’ai pas pour habitude de travailler avec quelqu’un en lorgnant son fauteuil”
Vous n’auriez pas des ambitions pour la présidence de la Fédération sénégalaise de football…
(Hésitant) Pour l’instant, je travaille avec le président de la Fédération. On est en parfaite harmonie. Je n’ai pas pour habitude de travailler avec quelqu’un en lorgnant son fauteuil. Pour l’instant je suis dans l’équipe fédérale, on travaille bien, on est dans le « Mankoo » (« s’unir » en wolof, ndlr) . Quand je travaille dans une équipe, j’attends la fin du mandat pour discuter autour de nous et voir la personne idéale pour diriger l’instance. Je ne rentre pas dans une structure en regardant le siège du président. Je pense que ce n’est pas correct.
À côté de la Linguère, vous avez votre propre académie. Parvenez-vous à piocher des pépites dans la région nord du Sénégal ?
C’est l’objectif. Quand on regarde la géographie du football sénégalais, il n’y a que la Linguère qui est présente en 1ère division. Le Ndiambour est en D2, à Matam, il n'y a que des équipes en D4. Si on n’y prend pas garde, ce fossé risque de s’accentuer, l’élite sénégalaise sera concentrée entre Dakar et Thiès (à 70km de la capitale). Il y a le risque de voir ces joueurs dans le nord, opter pour la sélection de Mauritanie. Mis à part cela, on risque d’avoir des perturbations. Le football, c’est beaucoup de moyens. Il n’y a qu’à voir Casa Sport (club du Sud du Sénégal) et la Linguère, obligés d’avoir d’énormes moyens pour exister. Tous les 15 jours, ces clubs sont obligés de faire entre 700 et 1000 km. Là où les clubs de Dakar et Thiès font à peine 150km tous les deux week-ends. C’est coûteux financièrement et sur le plan énergétique. Il faut qu’on arrive à équilibrer cela en donnant plus de subventions à ces clubs pour l’équité sportive.
“La reconnaissance que Gueugnon me montre, je ne l’ai pas à Saint-Louis, c'est dommage”
Parlons de votre ancien club Gueugnon. Quels sont aujourd’hui les rapports entre vous et le club des Forgerons ?
Je suis d’abord Bourguignon. C’est un club où j’ai passé 9 ans, un club avec lequel je suis monté en D1 française. J’ai été capitaine et j’ai gagné la Coupe de la Ligue face au PSG. La seule fois où le PSG a perdu en finale de cette compétition. Je suis considéré comme un Gueugnonnais, un Bourguignon. Je me considère également comme tel. Je ne peux sortir ce club de ma vie. Quand je voyage, on me parle de Gueugnon. Amara et Gueugnon sont fusionnels. À chaque fois que je m’y rends, on me le rend bien. On sent de la reconnaissance. À Saint-Louis, je suis le premier entraîneur à gagner le championnat depuis 1969. J’ai révolutionné ce club. Mais la reconnaissance sportive que la ville de Gueugnon me montre, je ne l’ai pas à Saint-Louis. Et c’est dommage.
Avez-vous encore des nouvelles du club de Gueugnon ?
Ah oui, tout le temps. Je suis resté en contact avec le club. J’ai même un partenariat qui m’a permis, il y a deux ans, d’envoyer deux joueurs là-bas. Gueugnon c’est Amara, Amara c’est Gueugnon.

Ça vous fait quoi de les voir en 5ème division ?
Ça me fait extrêmement mal. Il faut aussi voir la géographie de cette ville de 10 000 habitants. Le football d’aujourd’hui coûte cher. Avant, il y avait l’usine. Quand j’ai vu le club descendre de division en division, ça m’a fait mal. Malgré ces descentes, Gueugnon est resté dans le cœur du football français qui ne va jamais oublier les exploits de Gueugnon. Ce club est inoxydable, comme l’AJ Auxerre. Ce sont des clubs où on voit le travail, la sueur.
En tant que Bourguignon, vous aimiez les escargots ?
Oui, les escargots, l’escalope de veau. J’aimais souvent me rendre au marché du jeudi, acheter les escargots. J’aimais bien l’escalope de veau, c’est de la très bonne viande. La Bourgogne est un coin extraordinaire que je conseille aux gens de visiter. C’est un bon coin gastronomique avec de beaux sites à visiter. Les gens me demandaient comment je pouvais vivre à Gueugnon. Je leur répondais que c’était paradoxal, mais à Gueugnon, je n’avais pas le temps (rires). Gueugnon m’a aidé à me former. Après les entraînements, je passais à la banque ou à la poste pour envoyer de l’argent à ma famille au Sénégal. J’étais dans les recherches, dans mes études, la formation. Je n’avais pas le temps. C’est curieux (rires).
Quand vous étiez joueur, vous pensiez déjà à devenir entraîneur. Vous avez beaucoup bouquiné pour ça…
Cela m’a beaucoup aidé. Aujourd’hui, on ne peut pas se limiter aux temps de la formation. Quand j’étais à Gueugnon, j’ai fait beaucoup de recherches, dans beaucoup de domaines. L’entraînement sollicite beaucoup de sciences. L’anatomie, la physiologie… Si on se limite à ce que l’on nous donne en formation où on te donne que le processus, c’est à toi d’aller chercher tout ce qui est analytique avant d’arriver au global.
Sénégal : Amara Traoré – « quand on tire comme ça avec un groupe, il faut faire attention » https://t.co/sIoXGzeulf pic.twitter.com/CQx5eYVD1u
— Afrik-Foot (@afrikfoot) December 25, 2023
“Aliou Cissé ne m'a pas appelé dans son staff, il a sans doute ses raisons”
Si Gueugnon faisait appel à vous pour entraîner l’équipe et ramener le club dans l’élite du football français, allez-vous quitter la Linguère, votre club de cœur ?
Aujourd’hui je suis bien en Afrique, au Sénégal, à Saint-Louis. Je vais me remettre à entraîner mais je sais que ce sera en Afrique. Une sélection ou un grand club qui vise la Ligue des champions.
Peut-on imaginer un retour de Amara à la tête des Lions après le départ de Aliou Cissé ?
Dans le football, il ne faut jamais dire jamais. Mais pour l’instant je n’y pense pas. Par contre je pourrais accompagner l’entraîneur du Sénégal, être dans son staff. Je reste un soldat de la nation. Conseiller l’équipe, être le sage, ça je suis prêt à le faire pour le Sénégal. Ce n’est pas le cas en ce moment, Aliou Cissé est là.
Aliou Cissé a fait appel à plusieurs Lions de 2002. Vous a-t-il déjà approché pour intégrer son staff ?
Non, il ne l’a jamais fait.
Vous ne vous êtes jamais demandé la raison ?
Je ne me suis jamais posé la question.
Vous étiez coéquipiers en sélection, vous avez entraîné le Sénégal avant lui. Il aurait pu vous solliciter…
Chacun a sa façon de faire. Il ne l’a pas fait, et moi ça ne me gêne pas. La seule chose que je lui souhaite c’est qu’il gagne encore la CAN, pour lui, pour le Sénégal. C’est tout le mal que je lui souhaite. Qu’il m’appelle ou non dans son staff (il soupire, “pfff”). Il a sans doute ses raisons. Maintenant je suis à la Fédération, membre de la commission technique et de la formation des cadres, la commission de la haute performance et celle de la petite catégorie. Quand on va dans les grandes compétitions, je ne m’approche pas de l’équipe.
Yoro Mangara