Ce mercredi 27 septembre, la Confédération africaine de football (CAF) annoncera les noms des pays hôte des 35ème et 36ème éditions de la CAN. L’occasion pour Afrik-Foot de plonger dans l’énigmatique processus de désignation des pays organisateurs de la grand-messe du football africain.
Par Yoro Mangara,
L’appel à candidatures, une affaire d’Etat
Quatre ans avant une CAN, le secrétariat général de la CAF adresse une lettre aux 52 associations pour que celles qui le souhaitent puissent être candidates à l’organisation. Tout en rappelant les conditions. Être membre de la CAF, ensuite il faut envoyer une lettre de la Fédération demandant l’organisation. Une lettre appuyée par une autre de son gouvernement. « On donne un délai pour recevoir toutes les candidatures, précise Amadou Diakité, ancien membre du comité exécutif de la CAF, joint par Afrik-Foot. La CAF fait un premier tri pour éliminer les candidatures qui n’ont pas l’appui de leur Etat. La CAF envoie ensuite une lettre aux Fédérations retenues pour les informer que leur candidature a été retenue et qu’elle enverra une mission d’inspection », explique l’ancien président de la Fédération malienne de football (FEMAFOOT) entre 1992 et 2002.
Contrairement aux Jeux Olympiques, l’organisation d’une CAN s’appuie sur un engagement total des gouvernements sur le continent comme le rappelle M. Ameth Dieng, ancien directeur de la haute compétition au Sénégal. « L’organisation d’une compétition internationale n’est pas une compétence des Fédérations. Elles ont au préalable une autorisation de l'État. La CAF a toujours eu cette sensibilité État dans son approche alors que pour la FIFA c’est une sorte d’ingérence. Dans ce cas précis, le dossier d’organiser la CAN au Sénégal est porté par la Fédération sénégalaise de football. Mais elle ne peut le faire sans l’aval de l'État du Sénégal. C’est un processus où l'État et la Fédération réunissent leurs forces et parlent le même langage ».
Une fois les candidatures retenues, place à une première visite dans les différents pays candidats. « C’est avant tout, une inspection pour la candidature, informe M. Diakité. La commission désignée va dans tous les pays candidats pour s’entretenir avec les Fédérations et les autorités gouvernementales. En définitif, c’est leur donner l’occasion d’exposer leur projet d’organisation de la CAN. Cette mission fait un rapport de chaque pays candidat, transmis à tous les membres du comité exécutif. À la fin, c'est le comité exécutif qui désigne le pays organisateur », a-t-il précisé.
🔴 [LIVE from Cairo]
CAF Executive Committee Meeting pic.twitter.com/bRmVCotaMk— CAF Media (@CAF_Media) September 27, 2023
Une véritable opération séduction
Sous la présidence d’Issa Hayatou, la CAF a entériné une vingtaine d’organisations de la grand-messe du football africain. À chaque fois, on assiste à un véritable coup de marketing. « La dernière attribution à laquelle j’ai pris part, il y avait le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Guinée, l’Algérie et la Zambie. Lorsqu’on s’est rendu dans ces 5 pays, nous avons été ébahis par l’accueil et l’engagement des autorités. Dans tous ces pays nous avons été reçus par les chefs d'État en personne pour nous garantir qu’ils mettront tous les moyens pour l’organisation de la compétition. C’était difficile de faire une différence tant la volonté politique y était », se souvient Amadou Diakité.
Même au Cameroun du puissant président Hayatou, on n’a pas lésiné sur les moyens, assure l’ancien membre du comité exécutif de la FIFA (1998-2007). « Au Cameroun, pour la première inspection de leur candidature, on est arrivé à 4h du matin et nous avons trouvé un comité d’accueil avec des troupes folkloriques, le ministre des sports et tout son cabinet était là à l’aéroport. Ils ont mis à notre disposition des vols spéciaux quand on devait visiter les différentes villes qui devaient abriter la CAN. Des fois, c’était l’avion présidentiel. C’était le cas dans les 5 pays, même en Zambie. Lors de mon rapport de présentation, j’avais même précisé que personnellement il m’était impossible de faire la différence entre les différents candidats ».
Une fois l’attribution du pays hôte actée, de nouveaux écueils se présentent au comité d’organisation. « Après la désignation du pays hôte, la CAF fait un chronogramme en rapport avec le pays désigné. Je le connais par cœur pour avoir organisé la CAN au Mali, rappelle M. Diakité, président de la FEMAFOOT de 1992 à 2002. Tous les trois mois, dès l’attribution, il y avait une inspection. Une manière de voir ce qui a été fait depuis la désignation et mettre la pression sur la Fédération, sur le gouvernement. Une façon de leur dire, ‘on vous l’a donnée mais on vous surveille’. Jusqu’à la CAN, toutes les grandes réunions de la CAF se tenaient dans le pays qui accueille la compétition. Ça permet au comité exécutif en entier d’être présent dans le pays. La CAN est le miroir du football africain. On fait tout pour que ce soit une grande réussite », a-t-il confié.
Today is today. Who will be given the hosting rights for the @CAF_Online 2025 & 2027 #TotalEnergiesAFCON? The exco have a long day, starting from 6am GMT/8am in Cairo to get through the bidding process and have a vote, to choose the winning bids.
As a @CAF_Online exco member… pic.twitter.com/S3cd9jCFKF
— Osasu Obayiuwana (@osasuo) September 27, 2023
Le comité exécutif pour trancher
Le jour de la désignation, les différentes Fédérations candidates sont invitées à présenter leur projet. Pendant 10-15 minutes, chacune d’elles a droit à un grand oral devant la vingtaine de membres du comité exécutif (13 dans les années 2000). « Les Fédérations ont eu le temps de peaufiner, corriger et donc de présenter le projet définitif devant le comité exécutif, précise M. Diakité. Pour rassurer le comité, certaines donnent même des dates de livraison, parlent des entreprises chargées des travaux… Le comité exécutif procède au vote par bulletin secret pour révéler le nom du candidat désigné », a-t-il ajouté.
Le système d’attribution a plusieurs fois évolué au sein de la Confédération africaine de football. « Au début, c'était le comité exécutif. À un moment, on a décidé que c’était à l’assemblée générale de désigner le pays hôte. À l'époque, le Mali était candidat. Notre candidature est passée lors d’une assemblée de ce genre au Burkina Faso. Le Mali était candidat contre l’Algérie, l’Égypte et deux autres pays. Sur le plan des infrastructures, il n’y avait pas photo entre l’Égypte et nous. Objectivement, si c’était au comité exécutif de décider, il allait choisir l’Égypte », nous avoue Amadou Diakité.
Pas de quoi décourager la candidature malienne qui s’est appuyé sur un lobbying solide pour surprendre. « On a fait comprendre aux membres de l’assemblée générale que la CAN ne devait pas être l’apanage de ceux qui ont les moyens. Il faut permettre aux autres pays de se construire sur le plan des infrastructures sportives et hôtelières. Nous avions axé notre campagne sur cela. Ça a marché. Au 1er tour, on est sorti 2ème derrière l’Égypte. Au second tour, avec quelques minutes de pause, on a poursuivi le lobbying pour battre l’Égypte. Je n’en reviens pas qu’on l’ait emporté », a-t-il avoué à Afrik-Foot.
Dans ce genre de compétition, le lobbying s’avère déterminant pour faire la différence face aux autres candidatures. « Le lobbying n’est pas illégal, précise Ameth Dieng. J’ai travaillé sur la candidature d’Athènes aux JO de 2004 avec Djamil Faye (célèbre lobbyiste sportif sénégalais). Ce qui est illégal c’est la corruption, comme ce qui s’est passé aux Jeux de Salt-Lake City, de Rio ou de Tokyo… Le lobbying ici c’est un Etat qui porte une candidature avec toute sa diplomatie, sa compétence et ses ressources humaines et qui met en place un comité de promotion de la candidature du pays. L’État se donne les moyens pour que cette candidature prospère auprès des membres de la CAF, les sponsors de la CAN », soutient l’ancien patron de la haute compétition sénégalaise.
L’organisation de la CAN, un puissant levier de développement
Organiser une coupe d’Afrique des nations va bien au-delà de l’aspect sportif. Cette opportunité a le pouvoir de transcender la jeunesse et de raviver la fierté des peuples. Sur le plan économique, l’organisation est une sorte d’accélérateur de croissance pour les pays africains. « Chez nous, la CAN a permis la réalisation de plusieurs projets structurels dans toutes régions comme l’arrivée du réseau de téléphonie mobile, les feux de signalisation, des kilomètres de route bitumée… Le gouvernement avait mis le paquet. C’était extraordinaire pendant la CAN. Le Malien avait développé un véritable rapport à l’étranger. Les visiteurs disaient que les Maliens étaient gentils et accueillants », a révélé M. Diakité.
Qui poursuit : « On avait un président de la République (Alpha Oumar Konaré, ndlr) qui a inventé le concept du « Ndiatiguiya » (comment accueillir l’étranger). Les différentes communes devaient, après tirage au sort, s’approprier et soutenir une sélection. Même face au Mali. Quelques mois après, à la Coupe du monde en Corée et au Japon, quelqu’un m’a abordé en Bambara. Quand je lui demande qui il était, il me rétorque qu’il est de la commune 6 et qu'ils avaient le Sénégal dans leur localité. C’est la Fédération sénégalaise qui l’avait invité à la Coupe du monde. J’avais les larmes aux yeux. C'était leur ‘Ndiatigui’ ici à la CAN. Il avait leur maillot et tout », raconte fièrement celui qui a également été dirigeant du Stade Malien dans les années 80.
Le Sénégal hôte de la CAN 2027 ?
Ce 27 septembre, la Confédération africaine devrait officialiser le Sénégal comme pays hôte de la coupe d’Afrique des nations 2027. Des rumeurs bruissaient pour cette éventualité depuis le retrait de l’Algérie à l’organisation des CAN 2025 et 2027. Une aubaine pour le pays de la Téranga, 35 ans après son unique CAN organisée en 1992. « L’État du Sénégal doit, autant que possible, montrer qu’il est capable de créer les conditions d’organisation de la compétition. En termes de stades aux normes, les hôtels, les routes. Notre pays est réputé pour sa stabilité. Le Sénégal a beaucoup d’atouts pour accueillir la CAN avec ces villes traditionnellement réputées comme Saint-Louis, Ziguinchor, Thiès, Dakar… », s’enthousiasme M. Dieng.
#CAF 🌍 | Le Nigeria 🇳🇬 et le Bénin 🇧🇯 ont décidé de retirer leur candidature conjointe pour la CAN 2025, qui, sans surprise, reviendra au Maroc🇲🇦, et se concentrent désormais sur la CAN 2027. Ils seront les principaux concurrents du Sénégal pour cette édition.
— Papa Mahmoud Gueye (@billmahmuud) September 27, 2023
« Une CAN à 24 n’est pas impossible pour le Sénégal si le pays s’en donne les moyens. On projetait d’organiser la CAN en 2010 sous le magistère de Youssoupha Ndiaye alors ministre des Sports. Nous ne sommes pas parvenus à asseoir ce dossier à cause de l’instabilité au département des Sports. Le Sénégal doit en faire une priorité s’il est choisi », insiste M. Dieng, qui reste quelque peu perplexe sur l’engagement des autorités sénégalaises. « Je ne sens pas un lobbying de l’état du Sénégal mais sans doute que cela se fait de manière discrète. Je me souviens que le Président Abdoulaye Wade faisait partie du comité de promotion de la candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde 2010. Il s’était même déplacé pour vendre l’image du Maroc », a-t-il rappelé.
Le Sénégal surfe sur une incroyable dynamique avec sa victoire à la CAN en 2022 et celles au CHAN, à la CAN U20 et la CAN U17 en 2023. Le pays accueille dans trois ans les Jeux Olympiques de la jeunesse. Une première sur le continent. Accueillir une 2ème fois la CAN s’inscrit donc dans cette lignée. « On a les ressources humaines et le passé dans les instances internationales pour prétendre décrocher cette organisation. Actuellement on se positionne comme un véritable pays de football avec toutes les victoires ces derniers mois. Ce qui était loin d’être le cas en 1992. Cela entre dans le sillage de l’organisation prochaine des Jeux Olympiques de la jeunesse en 2026 », a ajouté M. Dieng. Verdict imminent.