Gagner la CAN, faire une demi-finale de Coupe du monde comme le Maroc ou obtenir une médaille olympique font-ils automatiquement de vous un grand pays du sport mondial ? Pas si simple. Il manquait un outil, un classement mondial pour évaluer et valoriser le travail d’un pays, au-delà du résultat sportif immédiat le plus spectaculaire ! Si ministres et présidents accourent dès l’exploit accompli, ce classement mondial montre qu’il reste beaucoup à accomplir en Afrique. Plongée dans un classement qui récompense le vrai travail de fond…
Par Philippe Doucet,
Mon regretté ami Pape Diouf a plus d’une fois refusé le Ministère des Sports au Sénégal. « Parce qu’en Afrique, le Ministre des Sports n’est que le Ministre d’un Sport, le foot. Et même, en vérité, le Ministre d’une sélection. Point final ! » La caricature est rude, mais loin d’être fausse. On est ainsi régulièrement affligé de voir le laisser-aller total pour des championnats locaux quand le Ministre redevient omniprésent lorsque l’équipe nationale apparaît sur le territoire.
Et on parle bien de sélection A, bien sûr. Car la sélection olympique ou féminine peut toujours faire forfait à une compétition majeure. Cela fera des économies, mais surtout pas de vagues. La résultante est un domaine sportif ultra-dominé par les résultats de la CAN ou une qualification à la Coupe du monde. Or, gagner la CAN prouve-t-il une bonne santé du sport dans un pays ?
C’est tout l’objet de dix années de travaux de recherche de Nadim Nassif, à travers le Centre International pour la Politique et la Gouvernance du Sport (ICSPG). Chaque année, il produit 4 classements et indices très complets qui devraient interpeler Comités Olympiques, instances sportives, fédérations nationales, internationales et gouvernements.

Un outil d’évaluation des performances sportives
Bien sûr, à quelques jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux de la XXXIIIe olympiade, les 206 délégations ne pensent qu’à la médaille qui va permettre de bien se classer dans la hiérarchie mondiale. Mais depuis 2014, le Classement mondial des pays dans les sports d’élite (WRCES) est une évaluation bien plus fine des performances dans les compétitions sportives internationales officiellement reconnues. Dans ses calculs, il prend en compte les résultats de 114 sports, en allant au-delà des podiums. Le WRCES attribue des points à tous les pays participants dans un sport, garantissant ainsi un classement plus proche de la réalité.
Bien sûr, le classement final est sans réelle surprise. Les Etats-Unis sont en tête en 2023, devant la Grande-Bretagne et la France. Et, avec l’Espagne (4e), l’Allemagne (8e) et l’Italie (9e), l’Europe reste le continent pivot du sport. Les moyens financiers expliquent aussi ce bilan. A preuve, un classement africain qui corrobore ce fait. L’Afrique du Sud arrive donc première (25e mondial) devant Egypte, Kenya (l’athlétisme), Maroc, Nigeria… Bien loin derrière, apparaissent le Sénégal (98e), le Cameroun ou la Côte d’Ivoire (107e). Quant à la RDC, sa 144e place, juste quelques places devant son petit voisin congolais, mériterait réflexion au vu du potentiel sportif considérable de ce pays.
Que les footeux se rassurent tout de suite. Une performance au BMX ou au Beach Volley ne domine pas une victoire à la CAN. Le classement WRCES attribue des coefficients à chaque sport et à chaque compétition. Il tient ainsi compte du poids médiatique de chaque sport. Pour 2024, le football est bien le sport le plus influent dans le classement. Devant le basket, le tennis, le volley et l’athlétisme ! En année J.O, le prochain classement valorisera forcément les grands sports olympiques, comme l’athlétisme ou la natation.
Côte d’Ivoire et Sénégal déclassées
Et, même côté foot, il est logique que la Côte d’Ivoire ne soit pas au sommet. La spectaculaire victoire à la CAN pèse son poids, bien sûr. Tout comme l’ASEC qui a ramené la Côte d’Ivoire sur la carte du continent côté clubs avec un quart de finale de Ligue des Champions. Mais quid des sélections féminines (pas qualifiées à la CAN 2025), U23 (absente des JO), U20, U17… ? Finalement, les JO pèseront peut-être davantage dans le prochain classement de la Côte d’Ivoire, capable de médailles en athlétisme ou lutte. Comme le Maroc, l’Afsud et des coureurs kenyans…

Prenons un autre exemple africain avec le pays qui a écrasé le foot africain dans toutes les catégories durant près de trois années, le Sénégal. Si la Côte d’Ivoire a eu des hauts et des bas, le pays de la Terenga a, lui, connu une montée régulière. De sorte que les échecs à la CAN en quart en 2017 et en finale en 2019 préparaient le premier succès au Cameroun en 2022 ! Une montée en puissance irrésistible confirmée très vite avec la série de succès en Beach Soccer, CHAN, U20, U17…
Une incroyable razzia qu’on a cru pouvoir expliquer logiquement par le travail des centres de formation au Sénégal. Vrai et…faux ! Tout d’abord, ce serait oublié que ce travail est d’abord privé, et non le fruit d’une politique fédérale et de l’état. Les académies qui ont réussi à mener le Sénégal si haut (Génération Foot, Diambars, DSC…) ne sont pas le fruit d’une politique de formation orchestrée.

De plus, il est assez paradoxal de s’apercevoir que les champions 2022 provenaient moins du Sénégal qu’en 2002 où, pourtant, tous les joueurs étaient estampillés produits « SENEF », Sénégalais de France. Sauf que, dans le détail, plus de joueurs 2002 sortaient de formation, voire du championnat sénégalais (avant d’aller jouer en France) qu’en 2022. Ce, malgré l’apport non négligeable de Génération Foot (Mané, bien sûr, mais aussi Ismaïla Sarr, Pape Matar Sarr, Habib Diallo, Lamine Camara…). A l’arrivée, pas étonnant que les structures sénégalaises ne permettent pas d’être plus haut au classement, malgré un talent indéniable (foot, basket, lutte)…
Du coup, le meilleur rang africain ne revient pas forcément au meilleur à la CAN. Ainsi, le titre de champion du monde de rugby des Springboks a apporté du crédit à l’Afsud, au plus haut du classement africain. Bien sûr, les moyens économiques pèsent fortement sur ce classement. Du coup, faisons un tour sur un autre indice, le WRCES Merite Ranking qui croise les résultats bruts avec le PIB et la PIB par habitant, soit la capacité économique du pays.
Un classement où l’on pouvait attendre des nations africaines à faible population. Elles sont pourtant largement devancées par la Jamaïque, le Monténégro ou les Iles Fidji… Le Cap Vert apparaît seulement à la 16e place devant Namibie et Burundi. Le Sénégal n’est que 63e. Et l’on pouvait attendre mieux du Rwanda (75e). Quant au Bénin, les efforts politiques en marche (infrastructures, structuration des sports…) ne sont pas encore récompensés (170e), mais on suivra avec intérêt son évolution.
Des réflexions pour les politiques
Enfin, les politiques seront forcément très attirés par les deux derniers indices calculés. Celui du « soft power », notamment. A ce jeu de fonds investis pour offrir de la notoriété au pays, le Qatar (89e nation sportive, mais 39e en « soft power ») ou l’Arabie Saoudite (79e, mais 33e en « soft power ») font des bonds spectaculaires. Mais l’Afrique est, là encore, très loin malgré les efforts du Rwanda (110e), par exemple. Le Sénégal (70e) doit bénéficier plus encore de l’organisation des Jeux Olympiques de la Jeunesse 2026. Et on s’aperçoit aussi que les énormes efforts consentis par le Cameroun pour organiser la CAN (101e) n’ont pas encore été suffisamment exploité. On jugera plus avant du boom que la CAN 2024 devrait représenter pour la Côte d’Ivoire (107e).

Enfin, le classement mondial des pays les plus aptes (WFCR) mesure le niveau de condition physique des populations de tous les pays. Malheureusement, il confirme largement l’analyse de Pape Diouf. Les Etats africains n’ont pas pris pleine conscience de l’impact du sport sur la santé et l’éducation. La RDC fait partie des six pays africains classés parmi les dix derniers parmi les 206 nations recensées. On retrouve 3 nations asiatiques aux 3 premières places en 2023 : Japon, Chine et Corée du Sud. Le premier africain, le surprenant Cap Vert est la… 63e place.
Avant de pouvoir donner tort à Pape Diouf, il y a aura encore de gros efforts à réaliser dans les politiques africaines appliquées au sport. Le cliché du gouvernement sans cesse au chevet de la sélection nationale A de football est malheureusement encore d’actualité. D’ailleurs, le classement FIFA est très souvent évoqué en Afrique pour justifier telle ou telle progression. Les hommes politiques sauront désormais qu’il y a d’autres classements bien plus évocateurs sur la pratique sportive dans leur pays. Et donc un moyen de faire progresser leur nation dans un classement représentatif. Il est temps que le sport, si prisé par une population passionnée, soit réellement développé en Afrique !
PS : Pour connaitre le rang de votre pays pour 2023, consultez le classement de l’ICSPG.