Algérie : Halim Ben Mabrouk – “Benzema est plus algérien que n’importe qui d’entre nous”

Publié le par Nacym Djender

Ancien international algérien, Halim Ben Mabrouk était un vrai guerrier sur le terrain. Un gladiateur qui savait aussi manier le ballon avec douceur. Il s’est imposé dans toutes les équipes par lesquelles il est passé. De Saint-Priest au Paris FC, en transitant par le grand Racing Club de Paris avant de signer aux Girondins de Bordeaux et un retour final dans sa ville natale de Lyon. Il a côtoyé de bien grands joueurs africains avec lesquels il a tissé des liens d’amitié à ce jour. Ben Mabrouk, « le ratisseur », avait également participé au Mondial du Mexique en 1986, donnant le tournis avec un certain Kaci Saïd aux maîtres brésiliens. Pour Afrik-Foot.com, l’ex-milieu de terrain a accepté de faire le tour de l’actualité du présent et lever le voile sur certains points obscurs du passé des Fennecs. Il l’a fait avec la gentillesse et la franchise qu’on lui connait… 

Par Nacym Djender,

D’abord que fait Halim Ben Mabrouk aujourd’hui ?

J’ai été durant les dix dernières années collaborateur du président de l’AS Saint-Etienne pour développer un peu le club etc. et mon aventure avec monsieur Bernard Caïazzo, qui est mon ami de longue date, s’est terminée il y a peu de temps. Par ailleurs, je suis en train de préparer un évènement grandiose en Arabie Saoudite, mais je n’en dirai pas plus pour l’instant, car ce n’est pas encore ficelé…

Vous nous faites saliver avec cet évènement sportif, lâchez-nous encore un petit morceau Halim…

Je ne peux pas en parler davantage puisque pour le moment ce n’est pas encore acquis, si vous voulez. Allez, je dirai juste qu’on va tenter de réunir des légendes du football mondial pour un évènement de football. J’attends encore des confirmations et des rendez-vous pour pouvoir proposer mon projet, avant de vous en dire plus.

Est-ce que vous aviez eu en tête l’idée de collaborer avec la fédération algérienne de football (FAF) ?

J’avais soumis un projet à l’époque du président Mohamed Raouraoua pour encadrer les jeunes footballeurs binationaux évoluant en France, en Belgique et ailleurs, et qui sont susceptibles de rejoindre les différentes catégories en sélection d’Algérie, afin de les accompagner dès leur jeune âge. J’avais proposé à Raouraoua de tisser un lien avec eux et leurs parents, afin de garder le contact avec eux, les conseiller, les soutenir et leur montrer l’intérêt de l’Algérie pour eux dès leur jeune âge et faire le médiateur entre ces jeunes et la FAF. C’est un projet qui me tenait vraiment à cœur, mais dommage que ça ne se soit pas fait. Bien sûr que ça m’intéresse toujours de faire quelque chose avec l’Algérie.

« Au Mondial 86, il y avait une petite mésentente entre les joueurs locaux et professionnels »

Vous avez participé à la Coupe du monde 1986 avec l’Algérie. Parlez-nous un peu de la qualité de vos anciens coéquipiers au sein des Verts ?

En 1986, lors de la Coupe du monde au Mexique, Je pense qu’on avait une super équipe avec des joueurs formidables. Aussi bien derrière que devant. C’était un mélange entre des joueurs évoluant en championnat d’Algérie et d’autres venus d’Europe. Quand vous avez des joueurs comme Salah Assad, Djamel Menad, Rachid Harkouk, Lakhdar Belloumi et Rabah Madjer devant et des Merzekane et Mansouri derrière… J’avais Kaci Saïd avec moi au milieu du terrain, avec Djamel Zidane, non c’était une équipe vraiment talentueuse à tous les niveaux. On était très complémentaires.

Qu’est-ce qui vous a empêché de vous qualifier au second tour ?

Je dirai qu’il y avait une petite mésentente entre les joueurs locaux et professionnels. Ce n’était pas parfait, contrairement à l’équipe d’aujourd’hui où pratiquement tous les joueurs sélectionnés évoluent à l’étranger dans de grands clubs professionnels. C’est pour cela que l’ambiance est meilleure qu’à notre époque. Aujourd’hui, on va dire qu’ils baignent dans la même culture footballistiquement parlant au niveau des clubs. Je ne dis pas qu’à mon époque ça ne marchait pas, mais disons qu’il y avait une certaine rivalité qui bloquait un peu… Ce n’était pas forcément la faute des joueurs, mais peut-être celle des dirigeants qui n’ont pas su tisser les liens pour que les choses se passent bien au sein de l’équipe. Aujourd’hui, Dieu merci, ces problèmes n’existent plus et cela se voit sur le terrain.

Halim Benmabrouk, Algérie
© IconSport

Vous êtes gentil d’éviter de donner les détails de vos problèmes, mais pour les jeunes lecteurs, on va dire que vous aviez été traité dans le vestiaire de « fils de harki » (traître à la nation) par votre coéquipier Lakhdar Belloumi et ça a déclenché une bagarre entre vous deux et vous aviez failli lui fracasser la tête avec une bouteille…

Oui, malheureusement ça a fini mal. Je n’aime pas trop revenir sur cette histoire ancienne. A chaque fois on me le ressort et on me dit : «Tu remets toujours de l’huile sur le feu… »

Cela fait partie de l’histoire de l’équipe nationale algérienne et votre témoignage pourrait servir de leçon aux jeunes pour ne pas faire les mêmes bêtises…

Aujourd’hui, ça ne risque pas d’arriver parce que les joueurs sont tous professionnels et ils parlent le même langage, comme j’ai dit. C’est vraiment dommage d’en arriver là, parce qu’on avait une très grande équipe. Il y avait plus de maturité que lors du Mondial de 1982. Au Mexique, on n’avait pas été ridicules

« Belloumi vient me voir pour me dire : ‘Tu es content qu’on ait perdu, tu es un fils de harki’ »

Vous avez reparlé de cette histoire depuis, avec Lakhdar Belloumi ?

Ouiiii, on s’est revu et on s’est expliqué calmement. On va dire que c’est de l’histoire ancienne…

Mais qu’est-ce qui a provoqué tout ce chahut entre vous ? Quel était l’origine du mal ?

Disons qu’il y avait déjà un problème d’accord… On avait rencontré le président de la République de l’époque, monsieur Chadli Bendjedid, avant d’aller au Mondial et il nous a expliqué qu’on allait représenter le pays et tout, et, en fonction des résultats obtenus, on allait recevoir tant et si on passait au second tour, allait recevoir une certaine somme. Et on arrive sur place au Mexique, la FAF ne tient pas les promesses du président de la République !

Il faudra peut-être souligner que ces primes étaient dérisoires par rapport à ce qui est proposé aujourd’hui…

Oui, bien évidemment ! Aujourd’hui, les primes ça tourne autour de 50 ou 100 000 euros… Rien à voir avec les primes de notre époque. Donc, au premier match, on fait 1-1 contre l’Irlande, puis on perd 1-0 contre le grand Brésil (sur une mésentente entre le gardien Drid et Medjadi, ndlr), alors qu’on avait réalisé un grand match… Puis au troisième match contre l’Espagne, tout le monde s’est révolté contre les dirigeants de la FAF pour réclamer notre dû. C’étaient surtout les professionnels qui s’étaient mis en avant pour réclamer nos primes. Il faut dire que tout le monde était content qu’on ait réclamé. Du coup, le match contre l’Espagne, beaucoup de joueurs professionnels qui avaient réclamé les primes s’étaient retrouvés écartés de l’équipe !

Halim Benmabrouk, Algérie
© IconSport

C’était Rabah Saâdane qui était alors entraîneur en chef…

Oui, c’était Saâdane l’entraîneur. Mais j’ai su par la suite que ce n’était pas lui qui donnait toutes ces directives. Bref. Et là, il nous a écarté de l’équipe contre l’Espagne, mais l’ambiance s’était bien dégradée à la suite de cette histoire malheureuse de primes. C’était malsain à vivre avant un match aussi important en Coupe du monde. On n’avait vraiment pas besoin de cela. On devait se préparer tranquillement et rester solidaires et unis. Déjà qu’il y avait une certaine rivalité et des tensions internes entre certains joueurs locaux et les pros, on n’avait pas besoin d’allumer encore plus la mèche à cause de problèmes logistiques. Arrive donc ce fameux match contre l’Espagne. On n’avait besoin que d’un simple nul pour passer au deuxième tour et on le perd sur un score de 3-0 ! J’étais resté sur le banc pour ce match et à la fin j’échange mon maillot avec Emilio Butragueño (la grande star de la Roja, ndlr) et c’est là que Belloumi vient me voir dans le vestiaire pour me dire : «Tu es content qu’on ait perdu, tu es un fils de harki » et m’a insulté directement. Et c’est là que tout est parti en vrille…

Mais pour quelles raisons Belloumi vous a traité de la sorte ?

Comme ça ! Déjà qu’il y avait beaucoup de tension dans l’air, c’était survolté et il attendait la moindre occasion pour raconter des conneries. Ça s’est fait comme ça ! Alors que je ne lui avais jamais rien fait, ni rien de dit de mal. Après, c’était un échange de mots et tout… Puis il est rentré en Algérie et m’avait sali dans les médias. Il avait dit que j’avais déchiré mon passeport algérien, que j’avais craché sur le maillot, pleins de mensonges comme ça. Alors que rien n’était vrai de tout ce qu’il avait dit. Toute cette ambiance malsaine, pour dire qu’on n’avait pas besoin de cela avant un match aussi décisif. On avait une superbe équipe qui pouvait faire bien mieux.

En fait, cette étiquette de fils de harki se poursuit même à ce jour. Bien de binationaux qui hésitent à opter pour la sélection d’Algérie se font traiter de « fils de harkis » par les supporteurs sur les réseaux sociaux notamment…

Ah, bon ? Même aujourd’hui encore ? C’est vraiment dommage tout ça. Ce n’est pas parce qu’un joueur d’origine algérienne choisit d’évoluer avec l’équipe de France qu’on doit les traiter de fils de harkis ! Il ne faut pas oublier qu’ils sont nés et ils ont grandi en France. Ils sont aussi français. C’est leur choix.

Nabil Fekir par exemple, il est traité de fils de harki par certains…

Ah, bon ? Franchement, ce n’est pas intelligent. On ne peut pas cautionner de telles choses. Dans ce cas, Karim Benzema aussi est un fils de harki, à leurs yeux ?

« J’avais la possibilité de jouer pour l’équipe de France »

Bien sûr que pour certains, c’est comme ça qu’ils le voient, malheureusement…

Et non ! Et non ! Il ne faut pas tout mélanger. Benzema a fait une grosse carrière. Il a un très grand niveau et il a grandi en France. C’est normal que l’idée première pour un footballeur c’est de jouer là où il pense qu’il va trouver un niveau à la mesure de ses ambitions. C’est du football avant tout. Il a joué dans de grands clubs, mais cela ne veut pas dire qu’il renie ses origines algériennes. D’ailleurs, on le voit aujourd’hui, il est plus algérien que n’importe qui d’entre nous. Ce n’est pas bien de le critiquer comme ça à travers les réseaux sans connaître la personne.

Vous qui avez connu ce traitement, comment on vit cela de l’intérieur, en famille ?

On est profondément affecté. Quand j’ai dit à mon père, paix à son âme, qu’on m’avait traité de fils de harki, il est parti au Consulat d’Algérie à Lyon et il a fait un scandale ! Il ne pouvait pas accepter cela, lui qui avait l’Algérie profondément en lui. Il était comme un fou. Les gens ne s’imaginent pas que de simples paroles peuvent faire parfois, beaucoup plus de mal que des actes.  Ce n’est pas bien. Ceux qui choisissent la France, il faut juste respecter leur choix. Pour moi c’était pire, parce que j’avais pourtant choisi de jouer avec le maillot de l’Algérie…

Halim Benmabrouk, Racing
© IconSport

Alors que vous aviez le niveau et la possibilité de jouer avec l’équipe de France, vu que vous faisiez partie des deux ou trois meilleurs joueurs à votre poste…

En effet, j’avais la possibilité de jouer pour l’équipe de France, mais j’ai choisi le maillot de l’équipe d’Algérie. Je n’ai pas voulu attendre longtemps. Et cela a fait plaisir et honneur à toute ma famille. Aujourd’hui, la parole est facile sur les réseaux sociaux, quand on veut raconter des conneries. Ce n’est pas bien du tout. Il faut respecter le choix de chacun. Ce n’est pas parce qu’un joueur veut jouer avec le maillot de l’équipe de France que c’est un fils de harki. C’est du n’importe quoi !

Le prochain footballeur qui est sur la « liste d’attente des insultes » pourrait être Rayan Cherki. Dans cette ambiance déjà assez tendue politiquement, quel choix pensez-vous le moins difficile à faire pour lui ?

Déjà, il joue toujours avec l’équipe de France « Espoirs » à ce que je sache. Cherki est un projet de grand joueur. A mon avis, si l’équipe de France lui fait appel, il sera amené à répondre favorablement… Je pense qu’il ne dira pas non.

Mais ça ferait une bien bonne équipe d’Algérie si Rayan Cherki venait à surprendre tout le monde et opter pour les Fennecs, non ?

Bien sûr ! On a déjà un potentiel très intéressant comme ça. Avec Cherki, ça ferait une équipe d’Algérie avec un atout certain en attaque. Mais ce n’est pas parce qu’on aura de bonnes individualités qu’on aura automatiquement une grande équipe nationale. Il va falloir bien diriger tout ce beau monde dans la bonne direction.

Rendez-vous dimanche pour la seconde partie de notre entretien avec Halim Ben Mabrouk où il sera question de Djamel Belmadi, du parcours du Maroc à la Coupe du monde 2022 ou encore des grands joueurs africains qu’il a côtoyés.

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