L’ancien attaquant des Fennecs est resté technicien, même après sa reconversion en tant qu’entraîneur. Karim Matmour est un fin tacticien qui vous fait aimer son métier, juste en l’écoutant parler de football. Un pur plaisir de l’entendre décortiquer les différents aspects de la gestion du footballeur de haut niveau, lui qui a roulé sa bosse des années durant en Bundesliga et en sélection d’Algérie. Il a bien voulu évoquer le passé, le présent et le futur du football africain. Karim Matmour en parle avec passion et amour dans la première partie de cet entretien exclusif accordé à Afrik-Foot…
Entretien réalisé par Nacym Djender,
Comment va Karim Matmour aujourd’hui, et qu’est-ce que vous-faites au juste ?
Depuis ma dernière expérience en tant qu’adjoint de Madjid Bougherra lors du dernier CHAN, je suis en train de me former dans le management. J’ai fait différentes formations que ce soit en France ou en Allemagne.
Pourquoi ne pas avoir suivi Madjid Bougherra au Qatar ?
J’avais cette possibilité d’enchaîner avec Madjid au Qatar, mais malheureusement, je n’ai pas pu y aller pour des raisons personnelles. Je continue donc à apprendre et à progresser dans le coaching…
Parlez-nous des diplômes que vous avez obtenus en Allemagne ?
J’ai passé en effet tous mes diplômes avec la fédération allemande de football pour arriver à l’UEFA « A ». Il ne me reste que le « Pro » à passer. Je fais donc beaucoup de formations que ce soit en management ou en psychologie afin de bien comprendre et appréhender le mieux possible les questions et les sujets nécessaires au management dans le sport.
Ça dure combien de temps pour obtenir un diplôme UEFA « A », par exemple ?
Ça dépend des pays en fait… Moi, je les ai faits en Allemagne. J’ai un ami qui l’a passé en France, il a fait un an de formation, en alternance, c’est-à-dire qu’il y a des stages au niveau de la Ligue ou la Fédération, de l’ordre de deux à trois semaines sur place, faire des sessions d’entraînements en retournant en club afin d’appliquer ce qu’on a appris, faire des devoirs, envoyer des dossiers… C’est un apprentissage qui va sur la durée. C’est long, c’est chronophage et ce n’est pas évident.
En Allemagne aussi ça dure un an ?
Oui, on va dire pareil, du coup, ils ont rajouté des étapes pour complexifier encore les diplômes afin de permettre à ceux qui arrivent tout en haut de la pyramide de sortir avec un niveau vraiment bon. C’est aussi très sélectif pour être pris. Ce n’est pas donné à tout le monde. Sur 200 candidats, ils ne prennent que 20 par an !
« Heynckes m’a dit qu’il s’intéressait même aux musiques qu’écoutait Ribéry »
Pensez-vous que tous les entraîneurs qui dirigent les grands clubs allemands ont tous ce bagage « théorique » ?
Alors, il y a deux choses à savoir : un coach, c’est l’addition de plusieurs compétences. Il y a la compétence théorique et ça, je l’ai vu lors de ma formation ; il y en a qui sont très forts dans la théorie, à travers un livre, on va dire ; mais après, cette théorie, il va falloir l’appliquer sur le terrain et c’est là où réside toute la difficulté du métier d’un coach. Il faut savoir se mettre à la place du joueur. Si on demande à un joueur de faire telle passe, il faut se demander s’il est capable de le faire à ce moment précis. Savoir s’il en était capable après avoir fait un sprint qui lui a bouffé toute son énergie avant de faire cette passe. On ne peut donc pas lui demander de faire des choses comme s’il était un robot. Et dans cet exercice-là, l’expérience et le vécu comptent énormément. Il faut donc avoir et la théorie et l’expérience en tant que joueur.
Ce n’est pas le cas des entraîneurs qui n’ont pas vécu les sensations du haut niveau…
En tout cas, je pense qu’il faut avoir une bonne empathie pour réussir à se mettre à la place du joueur et essayer de le comprendre. Souvent, quand je discute avec les plus grands coachs, ceux qui sont considérés comme des références en Allemagne, c’est ce qu’ils racontent…
Par exemple ?
Je prends l’exemple de Jupp Heynckes, l’ex-entraîneur du Bayern Munich, quand il raconte son expérience avec Franck Ribéry, où il dit que, lors des promenades le jour des matchs, il aimait bien se rapprocher de son joueur pour écouter la musique qu’écoutait Franck Ribéry pour comprendre justement comment il réfléchissait et dans quel environnement il vivait. Tout cela, afin de mieux comprendre l’état d’esprit de son joueur. Il se demandait toujours ce qu’était le quotidien de son joueur, comment il pense, c’est quoi sa vie au quotidien, ses influences etc. Pour pouvoir justement mieux l’aider à se préparer et à le guider le mieux possible sur le terrain. Tout ça, pour maximiser les résultats de son équipe !
« Le bus des Lyonnais a été caillassé comme nous en 2009 au Caire et le match a été annulé, pas comme le nôtre »
On va prendre l’exemple de Jupp Heynckes et Franck Ribéry au Bayern et vous demander de nous cerner le joueur Karim Matmour avant le match de l’Algérie contre l’Égypte, où il y avait cette polémique à votre sujet…
(Il rigole). C’était une fausse polémique. Après, il y a eu ces incidents du caillassage de notre bus au Caire et cela avait provoqué un traumatisme collectif au sein de notre équipe. Mais avec le recul, c’est forcément plus facile à analyser aujourd’hui, certains étaient dans le déni en disant qu’il n’y avait rien. Moi, j’avais dit le contraire en disant qu’il ne fallait pas être dans le déni après ce qu’il s’est passé. On n’était pas en mesure de jouer, à mon sens. Voyez ce qu’il s’est passé récemment entre Marseille et Lyon. Ils ont été caillassés comme nous et, au final, le match n’a pas eu lieu ! Là, personne n’a parlé de scandale. De plus, pour nous, c’était pire. On avait eu beaucoup plus de dégâts que Lyon, ce qui signifie qu’on ne devait pas jouer ce match. C’était la normalité. Je ne sais pas pourquoi ça avait surpris certains que je dise qu’il ne fallait pas qu’on joue ce match. L’exemple du match OM-OL confirme bien mes propos de l’époque.
Le temps a donné raison à ceux qui voulaient jouer ce match, puisque, au final, c’est l’Algérie qui s’était qualifiée au Mondial 2010 en Afrique du Sud…
Non, je ne suis pas d’accord, puisque, si vous regardez le match du Caire, on a pris un but au bout de deux minutes de jeu seulement ! J’étais sur le terrain et ils ne sont pas passés par mon côté pour marquer (il sourit). Ça prouve bien qu’à ce moment-là, on n’était pas encore dans le match. Pas dedans d’entrée en tout cas, même si, on arrive à tenir par la suite en se battant jusqu’au bout. Et là où on arrive à jouer notre football, c’est quand on est arrivés au Soudan (lors du match d'appui, ndlr), parce qu’on est sortis de cette pression et qu’on s’est débarrassé du poids de ce traumatisme collectif. C’est d’ailleurs ce qui était ressenti par tout le monde. On n’était juste pas en capacité de pouvoir jouer ce match avec tous nos moyens psychologiques. Ce n’était plus seulement un match de foot, en tout cas.
« Zidane, Xavi ou Iniesta arrivaient à prendre les informations plus vite que les autres. Ils avaient un coup d’avance »
Vous donnez beaucoup d’importance à la psychologie des joueurs. Quelle est sa part en pourcentage dans un match de football ?
Pour moi, c’est clair, 80% se joue dans la tête des joueurs. Si le joueur n’est pas en capacité maximale, s’il n’est pas bien à l’entraînement, il ne tiendra pas le coup physiquement. C’est tout un ensemble, un équilibre entre le corps et l’esprit. Il faut toujours entraîner l’esprit du joueur. On a tendance à focaliser sur la partie physique, c’est-à-dire le corps, mais le football de très haut niveau comme en Ligue des champions, la différence se fait dans l’intellect. Les plus grands champions le disent. Zidane, Xavi ou Iniesta l’ont dit. Ils arrivent à prendre les informations beaucoup plus vite que la normale et à voir les détails sur des actions avant les autres. Du coup, ils ont toujours un temps d’avance par rapport aux autres. Ils ne sont pourtant pas plus rapides. Ils ont juste un coup d’avance dans leur tête.
On prend l’exemple de Zidane en finale de Coupe du monde contre l’Italie. Il pète les plombs dans les dernières minutes du match… C’était un problème de préparation mentale ?
Zidane est notre exemple à tous. Moi en premier ! Je ne peux pas dire qu’il n’a pas un mental de dingue. Là, je dirai qu’il y avait une mauvaise gestion des émotions. Dans un moment de faiblesse, il a eu du mal à gérer ses émotions et il a craqué au mauvais moment. Mais Zidane, il a un mental astronomique, il n’y a pas le moindre doute là-dessus. Déjà, pour moi, tous ceux qui arrivent à atteindre le monde du football professionnel, ils ont forcément un mental en béton armé. Beaucoup de bons footballeurs ont raté leur carrière de haut niveau à cause de la faiblesse de leur mental.
Algérie-Cameroun… Dernière minute, l’Algérie se fait surprendre et dit bye-bye au Mondial… Là aussi c’était une question de mental ?
(Il respire profondément). Ah, ce match ! Ça fait une très grande polémique. Il y avait beaucoup de paramètres dans cet échec. C’était l’accumulation de plusieurs paramètres. Franchement, je n’ai pas envie de rentrer dans cette polémique. Ce n’est pas mon genre de rajouter de l’huile sur le feu…
Évitons les polémiques, c’est ça ?
Oui, je préfère botter en touche… (Il sourit).
« On regardait trois matchs par jour »
Retournons en Allemagne et votre carrière de coach en herbe, vous avez travaillé dans quels clubs et en quelle qualité au juste ?
Je vais rappeler déjà que j’ai joué en Bundesliga quelques années. Je suis passé par Fribourg, le Borussia Mönchengladbach, l’Eintracht Francfort, Kaiserslautern et Munich 1960. Et après, en tant que recruteur, j’étais à Leverkusen pendant trois ans. J’ai été également coach pendant un an dans un club amateur.
Le Bayer Leverkusen, c’est un club qui sort énormément de talents…
Ils donnent beaucoup d’importance à ce volet. C’est l’une des plus grandes cellules de recrutement au monde. C’est vraiment énorme le travail qui est mis en place là-bas. J’ai appris énormément dans ce club. J’ai tout appris avec eux, auprès des meilleures références, je dirai même les plus grands. Mes collègues étaient tous des entraîneurs qui ont travaillé en Bundesliga durant plus de 10 ans. On ne peut qu’apprendre le métier un peu plus tous les jours.
On apprend quoi au juste auprès des meilleurs recruteurs ?
On apprend surtout sur l’analyse des joueurs. On regardait trois matchs par jour pour bien analyser le comportement des joueurs. Cela m’a permis de bien aiguiser l’œil au bout de trois ans. On en sort forcément avec une analyse beaucoup plus pertinente, beaucoup plus rapide aussi. C’était bénéfique à tous les niveaux et super intéressant.
Pouvez-vous nous donner des détails précis sur cette expérience ?
Ce que je retiens le plus de cette expérience, c’est le process de recrutement propre à Leverkusen. C’est une sorte de « recette » qu’ils ont concoctée en interne et qui fait qu’ils arrivent, avec le plus petit budget et l’équipe la plus jeune, à jouer la Ligue de champions chaque année et à se battre contre les cadors de la Bundesliga tous les ans. C’est le fruit d’un travail de longue haleine et très dur surtout. J’en suis très content.
Rendez-vous mercredi pour la seconde partie de notre entretien avec Karim Matmour, dans laquelle il sera question des choix de Djamel Belmadi et de la nouvelle génération des Fennecs.