Avec le recul de Mohamed Salah et de Sadio Mané, une CAN 2023 qui a livré un verdict inattendu et déroutant, difficile de trouver un favori pour le trophée du meilleur joueur africain 2023/24. Et si le Real Madrid, expert en Ballon d’Or depuis toujours, contribuait à sacrer le Marocain Brahim Diaz ? Aux dépens des vrais héros de la CAN 2023…
Oserais-je vous avouer que la période des cérémonies individuelles ne me passionne pas du tout. Et pas beaucoup plus au niveau africain qu’au plus haut étage du Ballon d’Or de France Football. Les débats « marronniers » annuels sur ce joueur qui aurait dû être dans les 30 ou 10 premiers, ou sur le podium ou sur la plus haute marche, m’ennuient profondément par leur répétition. De fait, tous les ans, des « experts » ont un avis personnel sur la question. Il vaut ce qu’il vaut. Mais sûrement pas les débats enflammés lors desquels on « doit » faire semblant de s’intéresser.
De fait, cela ne correspond pas à ma philosophie du foot. Jeu collectif par excellence, celui-ci n’a pas forcément besoin de ce coup de comm’ supplémentaire sur des joueurs déjà hautement starisés au long de la saison. Lorsque j’étais enfant (et sans doute un peu plus supporter), cette animation fonctionnait sur moi. Je savais par cœur le palmarès du Ballon d‘Or. Et chaque fois que Cruyff, Beckenbauer puis Platini l’emportaient, je lisais doctement les dizaines de pages sur le vainqueur et épluchaient les votes des journalistes.
Objectif Ballon d’Or !
Je ne vais donc pas médire sur ce qui a pu m’intéresser dans ma jeunesse. Mais le marronnier fonctionnait parce qu’il était la seule distraction d’un noël sans matches. Désormais, on nous parle du Ballon d’Or comme d’un objectif prioritaire pour les grands joueurs. Ils iraient dans tel club « pour gagner le Ballon d’Or », lit-on ici et là. Je ne crois guère à ces fantasmes de supporters ou journalistes. Le joueur a une toute autre psychologie de champion. Et il ne peut lui échapper que le trophée n’est qu’une conséquence logique de ses réalisations sur le terrain vert. Forcément prioritaire, donc…
Désormais placé en octobre, en pleine actualité foot, le Ballon d’Or ne me passionne donc pas plus que ça. Même si l’époque récente nous laissait une chance sur deux de se souvenir du palmarès : soit Messi, soit Ronaldo. Ce qui est, finalement, le cas également de l’ancien Ballon d‘Or Africain (devenu « meilleur joueur africain »), puisque Mané et Salah ont remporté tous les titres de 2017 à 2022, certains n’ayant pas été attribués pour cause de Covid ou de vide sponsoring.
De fait, les CAF Awards sont plus difficiles à cerner. Par manque d’organisation d’abord. Sans date précise, sans méthode affirmée. Ou alors variables offrant un palmarès inégal…et donc de multiples débats !
La prime au palmarès collectif !
Personnellement, je suis de la vieille école. Je me fiche bien de savoir si untel ou untel est le meilleur ou s’il a plus de followers. Il s’agit de nommer un joueur décisif lors d’une saison et je suis ultra-sensible au palmarès collectif. Et donc aux joueurs clés qui ont permis d’obtenir ce titre. En ce sens, Mané 2022 était une évidence après avoir porté le Sénégal à une consécration unique. Et aussi parce qu’il a attendu si longtemps derrière Mohamed Salah. Même à Diamniadio, lorsque j’assistais au sacre de Salah en 2019, j’éprouvais une certaine tristesse (mais toute personnelle et essentiellement humaine) pour Sadio… Je n’avais pas vraiment d’arguments contraires à émettre. D’autant que j’adore la finesse de Salah. Mais un sentiment de tristesse qui, à ma propre surprise, me prouvait que je n’étais pas si imperméable à cette distinction.
Mais revenons à la CAN. Car elle est pour moi la question centrale dans l’attribution de cette récompense. Ou devrait l’être… Si l’on prend la saison 2024/25 en exemple, comment la CAN, disputée en janvier-février, en plein milieu de la saison, pourrait-elle être absente des plus hautes marches du podium ?
L’absurde cérémonie de Lomé 2008
C’est pourtant une performance déjà réalisée par la CAF, organisatrice de la CAN ! Ainsi, en 2008, en contradiction évidente avec ses intérêts sportifs, la CAF avait réussi l’exploit de vouloir remettre le trophée juste avant les quarts de finale de son tournoi majeur du foot. Idée d’autant plus saugrenue que pour des raisons de sponsoring, il fallait passer la frontière pour se rendre à la cérémonie. Les joueurs devait aller à Lomé et quitter le Ghana, hôte de la CAN 2008.
Déjà, remettre le trophée au beau milieu d’une épreuve essentielle était une véritable gageure. Mais obliger des joueurs qualifiés à quitter leur équipe pour participer à une telle mascarade relevaient de l’irréel. Le trophée était alors promis à Didier Drogba cette année-là. Pour ses performances avec Chelsea, puisque la CAF se privait délibérément de la CAN en cours pour évaluer son meilleur joueur !
Mais Drogba ayant préféré rester avec ses coéquipiers pour préparer son match, il fut donc privé de ce trophée. Finalement attribué à Frédéric Kanouté qui avait été piteusement éliminé avec le Mali au premier tour, écrasé par…la Côte d’Ivoire de Didier Drogba. Bienvenue en absurdie !
La CAN négligée !
Et ce n’est ni la première, ni la dernière fois que la CAF néglige la CAN dans l’attribution de ce trophée. Dans un mouvement qui la dépasse largement. En effet, je suis toujours étonné du nombre de médias africains dont les couvertures portent systématiquement sur le foot européen. En plein week-end de demi-finale de Ligue des champions africaine, il n’est pas rare que la couverture soit consacrée au but de Mohamed Salah avec Liverpool contre Burnley !
Ceci explique beaucoup de choses. Et notamment mon scepticisme sur le vote de 2024 ! Après une CAN où les champions africains ont perdu peu à peu leurs chances. Je me souviens ainsi des premiers commentaires sur les performances d’Osimhen. Il semblait déjà parti vers un deuxième trophée individuel. Peu de buts marqués, certes. Mais un vrai leader dominant qui portait le Nigeria. Sauf qu’il a fini la CAN battu et sur une jambe. Et, surtout, voilà Victor Osimhen, pourtant annoncé dans les plus grands clubs (PSG et autres), qui signe au Galatasaray. Bien sûr, un transfert et les performances sur la saison suivante ne devraient avoir aucune influence sur une distinction Portant sur 2023/24. Mais on peut pourtant affirmer qu’Osimhen ne sera pas l’élu…
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— Afrik-Foot (@afrikfoot) September 15, 2024
Alors portons nos regards sur les vainqueurs de la CAN. Logiquement les mieux placés pour truster les récompenses sur cette saison. Où sont donc les stars ivoiriennes parmi les favoris ? Nulle part ! Pourtant, les Eléphants ont bien gagné la CAN. Et on ne peut les dédaigner comme une surprise zambienne, par exemple. Des Ivoiriens figurent bien parmi les stars du continent. Par quelle aberration les jurés laisseraient-ils de côté les Ivoiriens ?
Le vainqueur de la CAN out ?
Mais il est vrai que cette CAN a été à nulle autre pareille, notamment par le parcours insensé de la Côte d’Ivoire. Elle a d’abord vécu un premier tour calamiteux (dont le fameux 0-4 contre Guinée Equatoriale). Ce qui a poussé sur la sellette, voire sur le banc, plusieurs stars ivoiriennes. Comme Pépé ou Kessié. Puis la Côte d’Ivoire a survécu à ce premier tour, accompli un nouveau miracle lors de son quart de finale contre le Mali avant d’aller jusqu’au bout. Sans aucun joueur éligible au titre de meilleur joueur du continent ?
On peut ici citer, parmi les vedettes ivoiriennes, la résurrection de Kessié, l’entrée décisive d’Adingra ou le retour de blessure salvateur de Sébastien Haller. Plus que des Kossounou, Ndicka ou Diakité qui n’ont sans doute pas encore une stature suffisante pour une nomination individuelle. Oui, mais Kessié a fait un demi-tournoi. Et que dire d’Adingra et Haller qui n’ont pu apparaître que lors des toutes dernières rencontres après avoir pansé leurs blessures…
Doit-on les éliminer de la course pour cette raison ? Doit-on rappeler aux Africains le sacre de Paolo Rossi au Ballon d’Or (européen à l’époque) en 1982 ? Suspendu pour une affaire de paris sportifs (sic !), le buteur italien n’avait pas joué avec la Juve de toute la saison. Après un premier tour très modeste de l’Italie (trois nuls), il était toujours sans but. Puis vinrent les trois matches décisifs, six buts inscrits et le trophée mondial à la clef. Les jurés de France Football avaient donc élu Paolo Rossi pour trois matches dans la saison ! Le meilleur joueur ? Sûrement pas. Mais le joueur clef de l’équipe victorieuse du trophée majeur de la saison. Et pourtant, l’Afrique semble en voie d’éliminer les Ivoiriens de la course…
Du coup, elle regarde vers… l’Europe ! En ce sens, les trois buts d’Ademola Lookman lors d’une finale européenne, certes l’Europa League, sont fortement valorisés. A juste titre. Mais plus haut que la CAN ? Encore, dans son cas, peut-on évoquer le souvenir d’une excellente performance en Côte d’Ivoire, contribuant à la place de finaliste du Nigéria.
Un pied de nez à la CAN !
Mais une tendance semble se dessiner vers un joueur qui n’était même pas de nationalité sportive africaine au moment de la CAN. Brahim Diaz n’a donc pu jouer avec le Maroc qu’en mars de cette année. En Europe, on connaît le poids du Real Madrid, le « club des Ballons d’Or ». Avec lequel, le très doué joueur marocain a tout gagné cette saison. Mais, s’il a été parfois décisif dans le parcours en Ligue des Champions, il l’a surtout vécu depuis le banc de touche.
Doit-on alors évoquer le poids politique du Maroc dans cet éventuel vote ? Ne boudons pas la valeur du joueur. Si le sacre de Brahim Diaz se confirme, l’Afrique aura un nouveau lauréat de qualité. Mais un lourd symbole et un terrible pied de nez à la CAN, l’épreuve reine de l’Afrique. En ce sens, je ne souhaite surtout pas ce dénouement. Mais la lucidité nous commande de le redouter fortement. Car les temps sont au « supportérisme » et à la recherche de nouvelles stars. Dans ce contexte, un tout nouvel atout africain évoluant au Maroc et au grand Real Madrid semble avoir plus de poids qu’un vainqueur de la CAN…