Jakobs VS Mbappé, le Sénégal explique comment il a réussi à faire plier Galatasaray

Publié le par DOUCET PHILIPPE

La vedette de cette trêve internationale n’y a, paradoxalement, pas participé une seule minute. Kylian Mbappé avait, en effet, négocié avec son sélectionneur Didier Deschamps de se reposer d’une récente blessure. Calendrier, équilibre club-sélection, exemplarité, capitanat auront meublé les débats en première semaine. Où, à l’inverse, Ismaël Jakobs a rejoint l’équipe du Sénégal après avoir pourtant déclaré forfait ! Un débat de fond…avant que l’escapade suédoise de Mbappé ne prenne le dessus…  

Un sélectionneur ne devrait jamais dire ça ! Didier Deschamps a fait très mal au football de sélection en cette semaine diabolique pour la communication. Comment gérer un joueur vedette qui demande à ne pas participer à des matches internationaux ? En Afrique, on a été habitué à ce que le sélectionneur s’incline. Mais sûrement pas en France. 

Et la phrase maladroite du sélectionneur français en conférence de presse témoigne d’une certaine indolence sur un sujet phare pour bien des nations plus modestes. « L’employeur du joueur, c’est le club. Le club a toujours eu ce pouvoir. Ce ne sont pas les Fédérations qui paient les joueurs. » On a connu meilleur défenseur de la cause du football de sélection. Et, dans ce cas précis, on sent bien le sélectionneur tricolore pris dans une logique qui a commencé avec sa décision d’offrir le capitanat à Kylian Mbappé, après l’arrêt d’Hugo Lloris au lendemain de Qatar 2022. Il est facile de dire aujourd’hui que c’était une bien mauvaise décision. Honnêtement, avec la montée de la jeune génération chez les Bleus, cela paraissait pourtant finalement assez logique de privilégier Mbappé à Griezmann à l’époque.

Mais Deschamps n’avait sans doute pas imaginé alors que son capitaine le mettrait pareillement dans la nasse. En dehors de quelques matches amicaux peut-être (et encore), jamais un joueur important de l’équipe de France n’avait ainsi argué d’un bobo ou d’une fatigue pour zapper une semaine internationale. Et encore moins pour aller faire une escapade nocturne en Suède…

Kylian Mbappé, équipe de France
© Iconsport

En cédant à la demande de sa star, Deschamps n’avait pas non plus imaginé que l’Afrique lui donnerait la leçon. Enfin, en tout cas, le Sénégal Car si on élargit au continent, on se rappellera que, il n’y a pas si longtemps, un gardien de but de haut niveau a raté le début de la CAN pour disputer un match avec Manchester United. Sans que sa Fédération ne s’y oppose. Autant avouer que l’Afrique a souvent cédé lors des conflits d’intérêt entre clubs et sélections. Sauf le Sénégal qui a sa méthode…

Le détonateur Diafra Sakho !

L’histoire débute en janvier 2015, juste avant la CAN pour laquelle le nouveau buteur de la sélection Diafra Sakho est convoqué. Blessé le 1er janvier, Sakho déclare forfait. Mais l’avocat et Président de la Fédération Sénégalaise de Football Augustin Senghor ne s’en laisse pas compter.

« Globalement, nous sommes très respectueux des clubs, nous tenons à avoir un bon relationnel avec les employeurs de nos joueurs. Que les joueurs ne soient pas écartelés entre leur club et la sélection, dans l’intérêt de tous. Sauf quand un club veut contourner la réglementation. Nous sommes compréhensifs mais nous demandons le respect de la règle. »

En l’occurrence, la FSF demande au joueur de venir en Guinée Equatoriale faire constater sa blessure. Au lieu de quoi, Diafra Sakho va disputer et marquer lors d’un match de Cup en pleine CAN. Senghor ne mollit pas et fait interdire sa participation au match suivant à Liverpool. Et West Ham prendra 100 000 francs suisses d’amende

Diafra Sakho, Sénégal
© Iconsport

Quand Sarr participe à la victoire à la CAN !

Ce préalable va renforcer la volonté du Sénégal. Le même cas se présente pour Ismaïla Sarr lors de la CAN au Cameroun en 2022. La blessure évoquée par Watford est réelle mais la FSF exige néanmoins la convocation du joueur. Nous sommes en pleine période COVID et la CAF a autorisé 26 joueurs par équipe.

« Du coup, nous savions que Ismaïla Sarr ne pourrait jouer au début, raconte le Président Senghor. Nous l’avons envoyé récupérer et travailler en Espagne avant de le faire revenir pour les quarts de finale. Et vous vous rappelez qu’il avait eu un grand apport avec sa fraîcheur lors de la dernière ligne droite vers le titre ! »

Ces faits d’arme ne sont pas si fréquents en Europe où les sélections ont un poids conséquent et où les clubs n’ont pas trop envie d’avoir des problèmes avec les grandes Fédérations. Ils sont moins regardants avec les pays africains et tentent le coup. Avec, parfois, l’assentiment surprenant de la FIFA (qui devrait logiquement défendre les Associations) lorsqu’elle accorde aux clubs anglais de garder leurs joueurs jusqu’à la dernière minute avant une CAN, pourtant inscrite au calendrier international. « Selon que vous serez puissant ou misérable… », comme l’écrivait La Fontaine dans ses fables !

Ismaila Sarr, Senegal
© Iconsport

Le Real tue la trêve internationale

Mais il arrive aussi que le joueur soit suffisamment puissant pour qu’un sélectionneur aussi titré que Didier Deschamps cède devant Kylian Mbappé… et le Real Madrid qui a opéré de la même manière pour garder plusieurs de ses joueurs. Et pas des moindres. Vinicius Junior, Militao ont ainsi snobé le rassemblement du grand Brésil. Idem pour Lunin. 

Le Real a pu jouer aussi sur un calendrier international absurde où les joueurs doivent traverser les océans trois mois de suite (septembre, octobre, novembre). Et avec une FIFA affaiblie par sa Coupe du monde des clubs en juin prochain pour laquelle elle a grandement besoin de l’assentiment des grands clubs européens, et le Real en tout premier lieu. « Selon que vous serez… »

Si le Sénégal ne compte pas donner la leçon à la France de Mbappé ou au Brésil de Vinicius, il est amusant de comparer avec la gestion du cas Jakobs lors de cette trêve internationale.

« Nous voulons être compréhensifs avec les joueurs, raconte Augustin Senghor. Et notamment avec Ismaïl Jakobs qui a des douleurs récurrentes au genou. Nous avons donc d’abord avalisé son forfait pour le Malawi. Jusqu’au moment où je m’aperçois qu’il joue le week-end précédent avec Galatasaray. J’alerte le Team Manager et le médecin. Chacun dans son rôle démarre alors les démarches administratives pour récupérer le joueur en écrivant au club turc. »

Augustin Senghor, président fédération sénégalaise football, FSF
© Iconsport

La négociation Jakobs

S’agit-il alors déjà d’un bras de fer entre le club d’Istanbul et la Fédération ? Senghor s’en défend.

« Nous n’avons pas du tout cherché le conflit. Il se trouve que Jakobs a été très coopératif. D’autant qu’il y avait un écart de version entre ce que le médecin du club lui avait dit et ce qu’il nous avait dit. » 

Malgré le règlement qui lui était favorable, la FSF a, en fait, négocié avec le club d’Ismaïl Jakobs.

« Nous sommes respectueux du club et du joueur. Nous avons garanti Galatasaray que si tout allait bien sur le premier match, nous allions libérer le joueur pour le laisser suivre un traitement spécial pour son genou prévu par le club. C’est ce qui s’est produit. » 

Et voilà comment le Sénégal a donné la leçon à Deschamps, la France et le Brésil ! Hissons le drapeau et chantons « Le lion rouge » ! Bien sûr, c’est vouloir présenter les choses d’une manière un peu trop spectaculaire. En fait, Senghor la joue plutôt humble en rappelant un élément de contexte essentiel.

« Il y a, d’un côté, un règlement FIFA qui plaide pour les Fédérations. Et qu’il convient de respecter aux dates définies par ce règlement. Mais, en ces temps où il y a de plus en plus de matches, nous avons aussi la mission de mettre le joueur au centre de tout. Nous devons aussi le protéger et intégrer ses demandes. » 

Une manière de rappeler que le joueur reste essentiel dans ces combats club-sélection. Et qu’un Mbappé ne se gère pas simplement en citant le règlement FIFA et en claquant des doigts. C’est, d’ailleurs, bien, ce que doit penser son avocate aujourd’hui…

Jakobs VS Mbappé, le Sénégal explique comment il a réussi à faire plier Galatasaray

DOUCET PHILIPPE

Journaliste ayant débuté à "Golf Magazine" puis le quotidien sportif "Le Sport".
Avant de plonger dans la télévision et Canal+ en 1989.
Commentateur de football et tennis.
Mais aussi créateur de la "palette" et des statistiques sur les grands directs et la Ligue des Champions.
Son engagement dans le sport africain remonte à la CAN 1992 et à toutes les CAN suivantes qu'il a suivi pour Canal+ Afrique.
Chroniqueur sur RFI dans "Radio Foot International".