La présentation d'Alfredo Almeida comme nouveau directeur des équipes de jeunes de Flamengo a été marquée par une déclaration raciste et stigmatisante pour les joueurs africains.
Le Portugais, qui faisait partie du département de football du club depuis janvier, a été promu à ce poste avec l'aval du directeur sportif José Boto et a donné une conférence de presse lundi dernier.
Au cours de ses propos, Almeida a répondu à une question sur les caractéristiques des joueurs de différentes régions du monde en véhiculant un cliché discriminatoire. Il a associé les athlètes africains à des « valeurs physiques », tandis que les joueurs européens se distingueraient par leur « mental ». Des propos rappelant ceux tristement célèbres tenus par Willy Sagnol en 2014 sur le “joueur typique africain“.
2014 : « L’avantage du joueur, je dirais typique africain : il n’est pas cher, généralement prêt au combat, on peut le qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot, ce n’est pas que ça, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline. » Willy Sagnol pic.twitter.com/ZFLexko9Pj
— Vassili (@El_Vassili) March 1, 2021
Immédiatement, la déclaration a fait le tour des réseaux sociaux et Almeida a été la cible de critiques. En effet, le dirigeant a reproduit un discours enraciné depuis des années, mais sans aucun fondement scientifique.
Le tollé provoqué a obligé le Portugais à présenter des excuses. Cependant, ce type de pensée invite à réfléchir non seulement à sa gravité, mais aussi à la banalisation qui s'opère lorsque certains préjugés sont diffusés sous forme d'opinion ou de prétendu « savoir ».
Qu'a dit le dirigeant de Flamengo ?
“A África tem valências físicas como quase nenhuma parte do mundo. A parte mental, temos que ir a outras zonas da Europa e do globo”
— Vini (@viniesportes) July 14, 2025
🎙️ Alfredo Almeida, o novo responsável pela base do Flamengo.
pic.twitter.com/6vGdaGynzG
Lors de sa conférence de presse au Ninho do Urubu, Almeida a été interrogé sur la possibilité de revenir aux origines dans la formation des joueurs brésiliens, en privilégiant les aspects techniques avant les aspects tactiques à Flamengo.
« Ce que possède le joueur brésilien, on ne le trouve probablement nulle part ailleurs dans le monde. Cela a à voir avec le don, la magie, l’irrévérence, le fait que le ballon fasse partie du corps, la relation avec le ballon. Cela n’existe presque nulle part ailleurs dans le monde », a commencé le dirigeant.
« Ensuite, il y a d'autres régions qui présentent d'autres qualités. Par exemple, l'Afrique possède des atouts physiques que l'on retrouve rarement ailleurs dans le monde. Si l'on veut se concentrer sur l’aspect mental, il faut se tourner vers d'autres zones d’Europe », a-t-il ajouté.
Le média Trivela a contacté le service de presse de Flamengo pour aborder le sujet. Dans une note officielle, Alfredo Almeida a présenté ses excuses « si la manière dont il s’est exprimé a pu causer un quelconque malaise » — la déclaration complète du directeur des équipes de jeunes figure à la fin de ce texte.
Pourquoi la déclaration véhicule-t-elle une idée raciste ?
Trivela s'est entretenu avec l’avocat brésilo-nigérian César Augusto Chidozie, membre du podcast « Ponta de Lança » — une émission indépendante qui traite de sport, de culture et de politique sur le continent africain. Il a détaillé les dangers de la déclaration du dirigeant, qui réduit les joueurs africains à leurs « valeurs physiques » :
« Cette déclaration est problématique car elle réduit l’existence du joueur africain – et des Noirs en général – à une question de physique. Comme s’ils étaient dépourvus d’intelligence, sous-entendant qu’ils n’ont pas les capacités intellectuelles pour comprendre les rôles et les tactiques sur le terrain. »
Chidozie a également pris comme exemple la perception publique de Gennaro Gattuso, actuel sélectionneur de l’équipe d’Italie. Lorsqu’il jouait comme milieu défensif au Milan, il était réputé pour être « un joueur impulsif, qui commettait beaucoup de fautes ».
« Mais il était vu comme un battant, quelqu’un qui se donnait sur le terrain. Dans de nombreux cas, il avait plus de force physique que d’intelligence. Mais parce qu’il est blanc, il est considéré comme un battant, pas comme quelqu’un dépourvu d’intelligence », nuance l’avocat.
En contrepoint, Chidozie compare le milieu de terrain italien typique à Yaya Touré, un milieu ivoirien reconnu pour son élégance, sa technique et sa maîtrise du ballon, capable de briller comme meneur de jeu dans des clubs comme le Barcelone et Manchester City.

« En matière de finesse technique, dire d’un joueur noir comme Yaya Touré qu’il n’est que puissance, tandis que Gattuso serait rapide et intelligent, paraît un peu absurde », souligne l’expert.
Racisme scientifique et origine dans l’eugénisme
Trivela a également contacté Tadeu Kaçula, sociologue spécialiste des relations ethno-raciales, qui a dressé un panorama de l’origine historique de ce type de commentaire. Selon lui, réduire les caractéristiques d’un athlète noir à ses qualités physiques est une pensée erronée qui s’est imposée dans l’imaginaire collectif grâce au « racisme scientifique ».
Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, l’Europe a inauguré le racisme scientifique, qui n’était rien d’autre que tenter de créer des études justifiant une prétendue domination des blancs sur les noirs. Une action politique et sociale de dévalorisation de l’Afrique et des autres continents non européens. Kaçula explique que la science eugéniste a tenté de prouver l’existence d’une différence entre blancs et noirs sur le plan intellectuel, physique et cognitif.
« Il s’agissait d’une science conçue uniquement et exclusivement pour bénéficier aux personnes blanches d’origine européenne, et pour tenter de délégitimer les capacités intellectuelles, créatives et scientifiques des peuples africains. »
Le sociologue souligne qu’il n’existe aucune étude prouvant la domination des peuples africains dans les valeurs physiques, tandis que la population européenne serait dominante dans les aspects intellectuels.
« Lorsqu’une personne renforce l’idée que les joueurs blancs ont une plus grande capacité intellectuelle, ce qui leur permet de progresser au détriment des joueurs noirs qui ne disposeraient que d’atouts physiques, elle alimente l’idée que les joueurs noirs peuvent être traités comme inférieurs. »
Récurrence du préjugé dans le sport

Il n’y a pas si longtemps, avant les propos du directeur des équipes de jeunes du Rubro-Negro, un maire d’une ville du nord de l’Espagne a tenu des propos similaires en commentant l’élimination du Real Madrid en quarts de finale de la Ligue des champions face à Arsenal.
Sur son profil X (anciennement Twitter), Gonzalo Pérez Jácome, maire d’Ourense, a pointé une prétendue erreur de planification des Merengues, qui auraient privilégié des joueurs noirs pour dominer les Gunners dans le jeu physique.
« Le Real Madrid pensait qu’en recrutant de nombreux joueurs noirs, cela ferait une différence physique lors des matchs ; c’est ne rien comprendre au football ni à l’athlétisme », a écrit le maire.
La différence vue en pratique
Les commentaires racistes déguisés en fondement scientifique ne tiennent pas la route lorsqu’ils sont mis à l’épreuve. Dans le cas de l’attribution de la puissance physique aux joueurs africains, l’article « Rythme et Puissance : Éliminer le Biais Inconscient dans les Commentaires de Football » a montré que ce stéréotype s’effondre lorsque la couleur de peau n’est pas visible.
Le match entre Sénégal et Pologne, lors de la Coupe du monde en Russie en 2018, avait été résumé à l’époque par les commentateurs comme les Européens « luttant tout le match contre le rythme et la physicalité » des Africains. Le cas typique des blancs dotés d’intelligence tactique et d’esprit d’équipe, tandis que les noirs étaient limités au rythme et à la puissance.
Pour mettre en lumière le racisme latent, l’étude a utilisé la technologie de suivi de la société canadienne « Sportlogiq » pour capturer les mouvements des deux équipes et transformer les joueurs en silhouettes. Autrement dit, aucune différence de couleur de peau pour les spectateurs.
Ainsi, 58 personnes ont regardé une animation de deux minutes du match sans savoir quelles équipes elles observaient. Le résultat : 62 % ont choisi la Pologne, dont les joueurs étaient tous blancs, comme l’équipe la plus athlétique.
À titre de comparaison, 47 autres personnes ont regardé un extrait normal, en couleurs réelles, de deux minutes de la retransmission télévisée du match de Coupe du monde. Là, 70 % ont déclaré que le Sénégal, dont les joueurs étaient tous noirs, était « plus athlétique ou plus rapide ».
Autrement dit, les prétendues qualités physiques qui seraient l’identité de l’école africaine de football n’ont pas été perçues lorsque l’observateur ne pouvait pas distinguer les joueurs noirs des joueurs blancs.

La stéréotypisation, un problème enraciné
Le directeur des équipes de jeunes du Rubro-Negro a reproduit un stéréotype raciste, dont les racines du préjugé sont anciennes et perpétuées depuis avant la création du football. Au final, le sport n’est que le reflet de la société.
Par conséquent, perpétuer ce type de pensée qui associe les Africains au physique et les Européens à l’intellect est dangereux. Tadeu Kaçula souligne que ce discours sert à garantir le maintien de la structure racialisée du pouvoir : le blanc dans un rôle de domination et de référence, et le noir dans la subalternité.
Le biais raciste, déguisé en information, doit être éradiqué du sport, et aussi de la société. Aussi innocents que ces propos puissent paraître, l’imaginaire collectif continuera à reproduire des préjugés parce qu’ils deviennent des lieux communs.
L’Afrique ne se résume pas à des « valeurs physiques », et l’Europe n’est pas une référence en matière de « mental ». Il n’existe absolument rien qui prouve ces maximes ni qui justifie la propagation de ce type de pensée.
Précisions d’Alfredo Almeida, directeur des équipes de jeunes de Flamengo
« Lors de la conférence de presse de ma présentation comme directeur de la formation de Flamengo, j’ai fait une explication plus large sur les différents profils d’athlètes à travers le monde et les qualités généralement observées par les clubs dans le processus de formation et de recrutement. »
« Une partie spécifique de mon discours, sortie de son contexte général, a fini par susciter des interprétations qui ne reflètent absolument pas ma pensée. Je m’excuse donc si la manière dont je me suis exprimé a pu provoquer un quelconque malaise. Il n’y avait, à aucun moment, la moindre intention de tenir des propos discriminatoires. »
« J’ai pleinement conscience qu’il existe des athlètes dotés d’une grande capacité tactique dans le football africain, tout comme il y a des joueurs européens avec un immense talent créatif et des Brésiliens avec une force physique impressionnante. Les caractéristiques des joueurs ne se limitent pas à leur origine géographique. »
« Je réaffirme mon respect pour toutes les cultures, peuples et écoles de football. Je reste engagé dans le travail de formation à Flamengo, guidé par des valeurs telles que l’inclusion, la diversité, l’éthique et le développement intégral de nos athlètes. »
Cet article est une adaptation d'un article publié par notre partenaire Trivela.