En pleine polémique, Bernard Casoni a été démis de ses fonctions d'entraîneur lundi par le club d’Orléans après avoir créé une grosse polémique en déclarant que ses joueurs ne sont “pas plus cons que des Maghrébins“. Le technicien a réservé ses explications et présenté ses excuses dans un entretien accordé en exclusivité à Afrik-Foot.
Par Nacym Djender,
Vous avez entraîné au Maghreb, beaucoup de Maghrébins savent qui vous êtes. Donnez-nous votre version au sujet de ce qui s’est passé à Orléans ?
(Il sourit). C’est un coup monté par l’ancien directeur général parce que je cassais son business, par rapport au recrutement et à quatre joueurs qui étaient en difficulté au sein de l’équipe, c’est tout. C’est une question de management…
Qu’est-ce qu’on vous a reproché exactement ?
J’ai dit une phrase lors d’un entretien d’avant-match, dans laquelle j’expliquais aux joueurs qu’en début de saison, j’ai mis en place des choses au Maghreb et « vous, vous n’êtes pas plus cons que les Maghrébins, quoi ! » C’est-à-dire que, si eux ont réussi à le faire, vous aussi vous êtes capables de le faire. Et si vous n’êtes pas capables de le faire et bien, tant pis pour vous, mais… c’est que les autres sont meilleurs que vous, quoi ! C’est dans ce sens-là, quoi ! C’est une phrase de comparaison, sans plus. Si j’avais entraîné avant au Canada, j’aurais dit : « vous n’êtes pas plus cons que les Canadiens » et pas des Maghrébins. Vous voyez ce que je veux dire ?
“C’est une phrase de comparaison que je ne peux plus employer“
Oui, oui…, mais est-ce que vous comprenez que ça puisse heurter la sensibilité de certains Maghrébins justement ?
Oui, bien sûr que je comprends cela ! Mais, je n’ai pas de Maghrébin dans mon équipe. C’est la première fois que je me suis retrouvé sans joueurs issus du Maghreb dans mon équipe. Mais bien sûr que… c’est une phrase de comparaison que je ne peux plus employer de nos jours, mais il n’y a rien, mais vraiment rien contre les Maghrébins ! J’ai fait le ramadan, j’ai tout fait là-bas ! Au contraire, c’est une phrase de comparaison. J’ai dit que, si, au Maghreb, ils ont été capables de le faire, et pas eux, c’est qu’ils sont moins bons que les Maghrébins. (Il rigole). Voilà ! C’est tout, c’est une phrase de comparaison que j’ai toujours employée avant. C’est comme si j’étais au Maghreb et que je dis : « J’ai mis en place quelque chose à Orléans, par exemple, vous pouvez donc le faire, vous aussi ! Vous n’êtes pas plus cons que les Orléanais, quoi ! »
J’aurais pu dire la même chose dans un sens comme dans l’autre. Mais maintenant, ce n’est plus une phrase qu’on peut utiliser de nos jours. Et je comprends que ça puisse blesser des gens. Mais on ne m’avait jamais fait la réflexion jusqu’à maintenant. S’il y a bien quelqu’un qui n’est pas raciste, c’est moi ! J’ai tout partagé avec les Maghrébins : la fête de l’Aïd, le ramadan chez les gens, j’ai lu le Coran, j’ai tout fait là-bas !
En pleine polémique suite à ses propos sur les Maghrébins, Bernard Casoni a donné sa version des faits en exclusivité pour @afrikfoot pic.twitter.com/SQVmTSAOg5
— Afrik-Foot (@afrikfoot) November 9, 2023
Vous avez lu le Coran ?
Quand j’étais au Qatar, j’ai lu le Coran, oui, bien sûr. Et alors ?
Et vous avez compris quoi en lisant le Coran ?
Tout dépend de comment vous interprétez les choses en fait. C’est comme dans toutes les religions. Moi je suis contre les extrêmes, c’est tout et quelle que soit la religion. Dans chaque religion, il y a de bonnes choses à prendre. Mais tout dépend aussi de l’interprétation qu’on donne aux écrits. Vous savez, moi, j’ai grandi dans le partage. J’ai été élevé là-dedans. Partout où je suis allé, j’ai réussi à m’adapter sans problème. J’ai toujours été respecté. Il faut de la tolérance dans la vie. Au Maghreb, je me suis adapté à la vie des Maghrébins. J’ai vécu avec eux et tout partagé avec eux. C’est ça le plus important dans la vie.
“C’est une personne que j’ai gênée qui a fait partir cette histoire”
Vous avez lu un peu les réactions des médias maghrébins sur cette histoire ?
Vous savez, je ne lis pas les commentaires des gens sur les réseaux sociaux, après, dans la presse, je ne sais pas ce qui s’est dit. Je sais juste que je n’ai rien contre les Maghrébins, au contraire ! Ma phrase de comparaison se voulait plus valorisante pour les Maghrébins. C’est-à-dire, que si vous n’êtes pas capables de faire comme les Maghrébins, c’est que vous n’êtes pas à leur niveau. C’est que les Maghrébins ont un niveau au-dessus du vôtre, c’est tout. Tout dépend comment vous l’interprétez.
Vous avez demandé pardon à ceux qui l’ont mal interprété ?
Mais qui c’est qui l’a mal interprété ? Je ne sais pas qui l’a mal interprété ?
Peut-être ceux qui vous ont sanctionné et poussé vers la sortie à Orléans ?
Qui m’a sanctionné à Orléans ? Je n’ai pas de Maghrébin dans mon équipe pour me sanctionner. Je vous ai dit qu’il y avait un DG qui est parti et moi je suis arrivé au club, alors qu’il devait faire venir un autre entraîneur. J’ai donc pris sa place, alors que ce DG devait faire du business et il n’a pas pu le faire avec mon arrivée. Ce n’est même pas du racisme. C’est un truc de management. C’est quelqu’un qui n’a pas pu faire son business, pas plus. C’est une personne que j’ai gênée qui a fait partir cette histoire. J’ai tout de même fait 20 ans de Maghreb et on vient me parler de racisme à moi ?
“Comment peut-on me taxer de raciste alors que j’ai travaillé au Maghreb depuis 2003 !”
Après tout ce chahut, vous pensez pouvoir retravailler un jour au Maghreb, malgré tout ?
Mais bien sûr ! Pourquoi ? Mais je suis tolérant, moi ! C’était une phrase maladroite qu’on ne peut plus utiliser de nos jours, c’est tout. Comme je vous ai dit, ç’aurait pu être les Canadiens si j’avais travaillé au Canada. Mais moi, j’aime autant les Canadiens que les Maghrébins… J’ai été accepté partout où j’ai travaillé. J’ai toujours fait progresser le gens. C’est ça mon travail : faire progresser les gens. Ça n’a absolument rien à voir avec les origines ou quoi que ce soit. Pour moi, il n’y a pas de polémique là-dedans.
Vous avez vécu de bons moments au Maghreb, qu’est-ce que vous avez retenu de votre parcours dans vos différents clubs ?
La passion ! Oui, la passion qu’ils ont pour le football.
Vous avez aimé ?
Quand-même, quand vous jouez un derby devant 100 000 spectateurs, c’est le rêve de tout footballeur et d’entraîneur. C’est pour cela que je vous dis qu’il n’y a pas de place pour le racisme dans le football.
Un derby MC Alger-USM Alger par exemple, avec toute l’ambiance qu’il y a dans les tribunes, ça ne laisse pas indifférent, non ?
J’ai toujours eu la chair de poule quand je rentrais sur le terrain et voir une ambiance pareille. J’ai ressenti la même chose quand j’ai joué dans des grands stades aussi pleins en Europe. C’est ça la passion pour laquelle on aime jouer au football. C’est ça le bonheur que tu donnes aux gens. C’est ce qu’il y a de plus important, quelles que soient les origines ou les peuples. Le football, c’est du plaisir et du partage. On veut me faire un procès là où il n’y a aucune place pour me le faire. Comment peut-on me taxer de raciste alors que j’ai travaillé au Maghreb depuis 2003 ! J’ai fait la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. J’ai tout partagé avec eux. J’ai grandi avec des Maghrébins et des noirs. J’ai partagé ma chambre avec des musulmans et ils savent tous que je n’ai rien à voir avec les racistes.
“Mon intention n’a jamais été de blesser ou de rabaisser”
Vous avez riposté de votre côté en saisissant les Prud’hommes, c’est ça ?
Bien sûr ! C’est parce que je fais face à un coup monté, rien à voir avec les Maghrébins. Ce n’est pas un problème de racisme. On m’a créé ce problème parce que j’ai gêné des personnes.
C’est donc plus personnel ?
Je vous explique. J’ai envoyé ma candidature au club d’Orléans. Au bout d’une dizaine de jours, je n’ai pas eu de nouvelles. J’ai appelé un vieil ami, un ancien joueur de l’Olympique de Marseille qui habite à Orléans pour lui demander s’il peut demander au président qu’il connait bien, si ma candidature l’intéresse. Le président a dit « OK », on se rencontre donc et il me fait venir à Orléans. Et le DG qui était là, avant lui, avait prévu de faire venir un autre coach et ses joueurs avant son départ. Vous comprenez donc ce qui les a gênés. J’ai cassé leur business pour dire les choses comme il faut. Rien à voir avec ce qui s’est passé dans le vestiaire.
Vous pouvez donc facilement demander pardon à ceux qui pouvaient en douter, parmi les Maghrébins, à la suite de cet écart de langage, non ?
Mais, je vous ai dit : c’est une phrase que je ne pourrai plus utiliser de nos jours et je me rends bien compte que je pouvais blesser des gens.
Mais vous ne demandez pas pardon pour autant…
Mais pourquoi demander pardon ? Je n’ai tué personne à ce que je sache ! Je vous dis que c’est juste une phrase que j’avais l’habitude de dire depuis longtemps qui a pris un autre sens de nos jours. C’est malheureux que ça se passe comme ça, mais mon intention n’a jamais été de blesser ou de rabaisser la valeur de qui que ce soit.
“Je m’excuse si j’ai pu blesser certains, même de manière involontaire”
C’est votre manière de demander pardon ?
Je m’excuse si j’ai pu blesser certains, même de manière involontaire. Ce n’était vraiment pas dans mes intentions. Dire pardon en fait, c’est reconnaître que je l’avais fait pour les blesser. Or, il n’a jamais été dans mes intentions de blesser les Maghrébins avec qui j’ai partagé énormément de bonnes choses durant 20 ans. Ceux qui me connaissent parmi les Maghrébins ou autres, savent qui je suis et savent parfaitement que ce qui m’a été reproché n'a rien à voir avec mon éducation, faite de tolérance, de partage et de respect. Maintenant, c’est sûr que, si j’ai pu blesser des gens, je fais mon mea-culpa, volontiers. Et si ça fait du bien que je demande pardon, je suis prêt à demander pardon, même si mon intention n’a jamais été mauvaise. Dans mon esprit, je n’ai pas voulu humilier les Maghrébins ou quoi que ce soit. Pour moi, c’était une phrase que j’ai toujours employée pour faire la comparaison et non pas pour faire du mal. J’ai partagé 20 ans de ma vie avec les Maghrébins, je ne peux pas leur faire du mal. J’ai toujours été bien accueillis au Maghreb et j’ai encore beaucoup d’amis maghrébins.
Je n’ai jamais été raciste. Non, pas moi. De plus, dans mon équipe à Orléans, il n’y avait aucun Maghrébin. J’aurais pu être interpelé de suite si j’avais en face des joueurs maghrébins qui pouvaient me dire en face : « Eh, coach, c’est blessant ce que vous venez de dire ou ça peut nous gêner ». J’aurais tout de suite dit « désolé, je n’ai même pas fait attention, je ne le redirai plus ». Vous comprenez ?
Surtout que vous avez toujours eu des musulmans et des Maghrébins comme coéquipiers…
J’ai partagé ma chambre avec beaucoup de musulmans. Je citerai par exemple Ibrahima Aoudou, l’international camerounais. J’ai vu naître ses enfants, il venait manger chez moi… Mais il y en a plein d’autres, comme Hakim Malek avec qui j’ai partagé un appartement pendant deux ans ! On ne peut pas être raciste quand on vit avec des Maghrébins tous les jours !
“J’ai juste faire référence à mon dernier club qui était au Maghreb. Ç’aurait pu être au Canada”
Je reconnais que c’est une phrase blessante et que je dois bannir définitivement de mon vocabulaire, voilà ! C’est pour cela que je ne voyais pas pourquoi je devais demander pardon. Je n’ai rien contre les Maghrébins, au contraire. J’ai beaucoup d’amis maghrébins. Je suis tolérant avec tout le monde. Le football est universel. J’ai juste faire référence à mon dernier club qui était au Maghreb. Ç’aurait pu être au Canada et je suis sûr que ça n’aurait pas posé des problèmes si c’étaient des Canadiens. Vous voyez ce que je veux dire ? J’aurais pourtant utilisé la même phrase.
On suppose que votre famille a aussi mal vécu cette histoire…
Bien sûr ! Ç’a impacté aussi ma famille. Ils ont subi ces évènements avec moi. C’est parti trop loin cette histoire. On peut me traiter de tout, sauf de ça. Qu’on m’attaque sur le manque de résultats avec mes équipes, ou ma façon de travailler comme entraîneur, pas de problèmes. Mais me sortir que je suis raciste, non, ça c’est impossible ! Mon passé de joueur et d’entraîneur sont là pour témoigner que c’est impossible que je sois raciste. Je ne le redirai jamais assez : si j’ai pu blesser des gens, je reconnais que c’est une phrase qui peut blesser des gens de nos jours et que je dois la bannir de mon vocabulaire. Une chose est sûre : ça n’a jamais été dans mes intentions de blesser ou rabaisser qui que ce soit.
“Je dois retravailler dans le Maghreb, en Afrique, c’est tout”
Vous vous sentez amer, triste aujourd’hui ?
Oui, bien sûr que je le suis. Parce qu’on s’est servi de cette phrase pour me nuire, pour me mettre en difficulté, alors qu’il n’y avait rien de méchant ou quoi que ce soit de ce genre. Sincèrement, c’était plus une maladresse qu’autre chose. Je dirai même que, ce n’est même pas une maladresse en réalité, c’est juste une phrase – “être plus con que” – qu’on ne peut plus employer de nos jours, parce qu’on se rend compte que ça peut blesser des gens. Il y aura toujours quelqu’un de mal intentionné pour nous sortir ça et nous créer des problèmes. Un entraîneur qui a mon vécu et ma tolérance ne peut pas être raciste, c’est impossible.
Comment vous voyez votre avenir professionnel après un tel tollé ?
Je dois retravailler dans le Maghreb, en Afrique, c’est tout. Je reste ouvert à toutes les propositions. Mon plaisir à moi, c’est d’entraîner. Que ce soit en Afrique, en France, en Europe ou ailleurs, mon plaisir est d’entraîner pour faire progresser des joueurs. Mon vrai plaisir est là. Et quel qu’en soit le lieu. Mais c’est vrai que j’ai plus travaillé au Maghreb qu’en Europe.
On vous laisse un mot pour clore cet entretien que vous nous avez accordé dans cette période si délicate…
C’est vrai qu’on vit dans un monde de moins en moins tolérant, surtout quand on voit ce qui se passe un peu partout dans le monde. Il y a des choses qu’on ne maîtrise pas, malheureusement. En tout cas, j’en ressors avec une bonne leçon après toute cette histoire. Ça m’a appris qu’il faudra faire un peu plus attention à son langage aussi.