Cameroun : arbitres agressés par des supporters « fanatiques »

Publié le par Habibou Bangré, actualisé le

Depuis quelques mois, la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) note une augmentation des agressions envers les arbitres. Certains pointent du doigt le manque de sécurité dans les stades des petites villes, mais aussi le fait que le règlement du ballon rond n'est pas toujours maîtrisé par le public et quelques joueurs. Pour mettre fin aux débordements, la Fécafoot n'hésite pas à sanctionner.


Les arbitres de football camerounais doivent aussi courir vite. Depuis quelques mois, le public reste à l'affût d'un mauvais coup de sifflet pour sévir. La sentence se résume souvent à l'invasion de l'aire de jeu, assortie d'une correction en règle de l'arbitre et/ou de ses assistants, et dans quelques cas des joueurs du camp adverse. Surtout lorsque l'enjeu est de taille. Comme une élimination de championnat ou une relégation en deuxième division. Une situation que la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) ne semble pas prête de laisser pourrir, assénant des sanctions aux clubs et aux stades qu'elle estime responsable des débordements.

Depuis le mois de juillet, la Fécafoot a relevé « quatre incidents graves » et estime que « cela arrive de plus en plus souvent ces derniers temps, mais que les blessures sont souvent légères ». S'il arrive que les joueurs s'en prennent aux arbitres, ce sont les supporters qui sont le plus virulents. « Ils insultent les arbitres ou les joueurs de l'équipe adverse, jettent des pierres, envahissent le terrain… », énumère-t-on à la Fécafoot. L'invasion de l'aire de jeu ne se produirait pas partout. « Le véritable problème, c'est que les stades ne sont pas protégés. Actuellement, seuls trois stades le sont : celui de Yaoundé, de Douala et de Garoua. Car placer des forces de sécurité coûte cher », indique René-Armand Dengono, entraîneur de l'Etoile d'Essazok, une équipe de deuxième division.

Certains fans et joueurs ne connaissent pas bien les règles

« Les matches de deuxième division sont plus violents qu'en première car les stades de villages sont moins bien aménagés et les forces de l'ordre y sont rares. Le problème est complexe. Il n'y a, d'une part, pas assez de forces de l'ordre dans certaines localités. D'autre part, les déplacer revient cher. On estime par ailleurs qu'un match est l'occasion de se rassembler et qu'il n'y aura pas de problème. Sauf quand il s'agit d'un match à haute tension. Les forces de l'ordre sont alors prévenues et prennent leurs dispositions », précise une source de la Fécafoot. Elle ajoute que les « dirigeants administratifs peuvent avoir un comportement qui incite les supporters à se révolter ».

Il semble que ceux-ci se révoltent parfois à tort. « Chacun estime être au courant des lois du football. Mais certains n'en savent pas les détails ou ne connaissent pas les nouveaux amendements qui sont ajoutés. C'est cela qui entraîne les violences. Des joueurs eux-mêmes ne sont pas au courant des changements, de même que certains encadreurs. C'est un réel défaut professionnel », confie notre source de la Fécafoot.

La colère est aussi vive lorsque le Coton Sport joue, car le président de la Fécafoot est également directeur de la société qui est le principal sponsor de ce puissant club. D'aucuns considèrent donc que les arbitres ont tendance à favoriser cette équipe. « Mais comme le Coton Sport a le plus de moyens, et donc les meilleurs joueurs, ceux qui perdent se servent du prétexte de favoritisme pour expliquer au public leur défaite », tempère notre source de la Fécafoot.

« Pourchasser » l'arbitre pour le corriger

Un témoin se souvient d'une rencontre qui a opposé, le 16 août dernier pour la Coupe de Cameroun, le Tonnerre de Yaoundé au Coton Sport : « Le Coton a ouvert le score, ce que personne n'a contesté. Mais ensuite l'arbitre a sifflé une faute contre le Tonnerre. Là, le public n'a pas apprécié. Il a menacé l'arbitre et certains, les fanatiques ou les plus énervés, ont envahi le terrain ». « Les militaires sont rapidement intervenus et la police est arrivée à temps. Donc l'arbitre n'a pas été touché », assure un autre adepte du ballon rond. Il a eu de la chance, tous ne ressortent pas indemnes d'une invasion massive du terrain par des supporters en colère.

Autre match, autre issue. La rencontre de Foudre d'Akonolinga vs Coton Sport de Garoua, comptant également pour la Coupe du pays, s'est moins bien terminée pour les hommes en noir. L'arbitre de touche Patrice Bougani Doda signale un hors-jeu d'un joueur de Foudre d'Akonolinga qui venait de marquer. Le score était alors encore vierge. « Furieux, le public d'Akonolinga envahit l'aire de jeu et se met à pourchasser l'officiel ‘fautif' et l'arbitre central (Agar Mezing, ndlr), accusés d'avoir invalidé un but qu'il juge clair. Bougani Doda a quitté le stade avec une blessure à la tête, sous forte escorte policière, en même temps que ses collègues d'infortune », rapporte Angola Press.

Matches interrompus dans le dernier quart d'heure

Les incidents surviennent généralement juste avant la fin du match, débouchant souvent sur l'arrêt définitif de la rencontre. Les duels Tonnerre de Yaoundé-Coton Sport et Foudre d'Akonolinga-Coton Sport de Garoua ont respectivement été arrêtés à la 81e et à la 88e minute. Un choix guidé par « la pression et la passion alors à leur paroxysme. En fin de saison, c'est toujours un peu comme ça », explique, compréhensif, un arbitre de première division qui a lui-même manqué d'être molesté. Ce qui l'a sauvé de la vindicte populaire, c'est la rapidité des forces de l'ordre à le prendre sous leur aile une fois que la rencontre a commencé à tourner au vinaigre.

Que se passe-t-il pour les fauteurs de trouble ? La Fédération mène une enquête basée sur les rapports des arbitres et des commissaires. Mais retrouver les coupables n'est pas chose facile. « Il est difficile d'identifier les auteurs de coups contre les arbitres. Les personnes arrivent en masse, assènent un coup et s'évanouissent dans la masse de nouveau », souligne notre source de la Fécafoot. Les joueurs qui s'en prennent à l'arbitre sont, pour leur part, souvent suspendus. Mais la Fécafoot, qui a délivré de nombreuses sanctions, n'épargne pas les clubs et les stades. Suite au match Tonnerre de Yaoundé-Coton Sport, « les locaux étaient condamnés à payer une amende de 250 000 FCFA et un avertissement était adressé au président de Tonnerre, Antoine Essomba Eyenga », rapporte Angola Press. Et le score de 0-1 pour Coton Sport, affiché au moment de l'interruption de la rencontre, a été conservé. Ce n'est pas toujours le cas. « Parfois, le match interrompu est rejoué à 250 kilomètres du lieu où s'est tenu la première rencontre, pour éviter que les supporters virulents ne s'y rendent », note notre source de la Fécafoot.

Le nouveau directeur général de la Fécafoot a expliqué ne pas souhaiter que les événements qui entachent en ce moment la Coupe attirent plus l'attention que la qualification probable des Lions Indomptables pour la Coupe du monde et la Coupe d'Afrique des Nations 2006. Les compétences du Onze national ne sont pas remises en cause. En revanche, alerter sur un problème qui pourrait coûter plus que des « blessures légères » aux arbitres semble important. D'autant plus que, loyaux, aucun d'eux n'aurait décidé de raccrocher ses crampons pour raison de sécurité.

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Habibou Bangré