Achille Emana : “certains de mes ex-coéquipiers avec le Cameroun sont des faux-culs” [Exclu]

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Ancien cadre de Toulouse, du Bétis Séville et de la sélection camerounaise (43 capes et 7 buts entre 2003 et 2013), Achille Emana se fait discret depuis sa retraite en 2020. Dans cet entretien exclusif accordé à Afrik-Foot, l'ex-milieu offensif de 44 ans a parcouru l'actualité agité du football camerounais et du président de la Fecafoot, Samuel Eto'o, sans langue de bois, tout en dévoilant ses projets à venir.

Entretien réalisé par A.P.

On vous a un peu perdu de vue Achille Emana, que devenez-vous ?

Pour l’instant, je prends du bon temps. J’essaie de me changer les idées, je sors de la douloureuse perte de ma mère. Pour le moment, je me pose plein de questions. J’essaie de me retrouver, en famille, avec mes enfants. 

On a lu dernièrement au Cameroun que vous aviez décliné une proposition pour devenir coordinateur des sélections nationales. Info ou intox ?

C’est totalement faux. Vous savez, il y a des gens au Cameroun, je ne citerai pas de noms, et quand on veut distraire un peu le public, on lance une info sur une personne, une info mal placée afin que tout le monde en débatte et me critique de mon côté, m’insulte. On ne m’a jamais proposé quoi que ce soit. D’abord parce que je sors d’une perte très importante dans ma vie, celle de ma mère, que je n’ai pas la tête à me prendre la tête avec ce genre d’infos. 

Ce n’est pas le moment, ce n’est pas quelque chose d’envisageable parce que le président de la FECAFOOT et moi, on ne se parle pas. Il n’a pas mon numéro, je n’ai pas son numéro, je ne vois pas d’où il va m’appeler pour me parler de ce genre de choses, d’autant qu’il y a beaucoup de gens qui veulent ce poste et qu’il y a déjà quelqu’un en place, mon grand frère Thimothée Atouba, qui fait bien son travail. 

Eto'o, Emana, Cameroun
© Imago

Avant ce drame familial, qu’envisagiez-vous comme reconversion ?

J’avais passé tous mes diplômes de coach, oui. Mais je voulais être consultant dans les médias. Je me préparais par rapport à ça. Je suis aujourd’hui consultant à la CRTV au Cameroun, je me préparais pour l’être aussi en Europe. J’ai mon ancien agent qui est toujours en Espagne ce qui me permet de voir aussi les joueurs en Afrique et au Cameroun pour les envoyer en Europe. J’étais parti pour ça, mais avec le décès de ma mère, j’ai décidé de tout stopper. Le coaching, ça ne m’intéresse pas pour le moment. 

Revenons à votre carrière. Si vous ne deviez retenir qu’un seul, quel serait votre meilleur souvenir en sélection nationale ?

Il y a beaucoup de bons souvenirs en sélection. Mais le plus beau, je l’ai déjà dit, c’est après l’enterrement de mon père, en 2008, je suis revenu dans le groupe, on est parti jouer au Gabon et le but que j’ai marqué, j’ai pu le dédier à mon père. C’était vraiment un but spécial pour moi. Sachant que je sortais de ce moment difficile, Paul Le Guen avait décidé de me maintenir sa confiance. Alors ça reste un souvenir fort de ma carrière avec le Lions. 

Certains observateurs ont un petit goût d’inachevé à l’heure d’évaluer votre parcours avec les Lions Indomptables (43 sélections, 7 buts). Partagez-vous ce sentiment ? Savez-vous ce qui a manqué pour pouvoir faire mieux ? Avez-vous des regrets ?

Je sais ce qui s’est passé dès la base. Je ne vais pas révéler ça aujourd’hui, mais je sais ce qui s’est passé à la base. Des regrets, oui, sur le fait que notre génération n’ait pas pu donner au Cameroun la grande joie ce qu’il attendait de nous, surtout en 2010, en Afrique du Sud. En 2008, on était arrivé en finale au Ghana, mais on n’avait pas pu gagner la finale, pour diverses raisons.

Les regrets, c’est qu’on n’ait pas pu donner le sourire que l’on aurait dû, parce qu’on en avait la capacité, au peuple camerounais en décrochant un titre. Je sais ce qu’il s’est passé, le groupe sait ce qu’il s’est passé. Mais je ne vais pas m’attarder sur ça. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il faut essayer d’avancer et voilà. 

“On n’était pas vraiment tous ensemble en sélection. On a beau essayer de rigoler, mais la mentalité n’a pas changé”

L’ambiance au sein du groupe était-elle bonne ou au contraire plutôt pesante ?

Ça allait à certains moments, c’était pesant à d’autres, parce qu’on n’était pas vraiment tous ensemble, comme j’ai déjà pu le dire. La preuve en est qu’aujourd’hui, on s’est tous retrouvé à la fin de nos carrières et on n’est pas tous ensemble. Certains oui, d’autres non. La mentalité n’a pas changé. On a beau essayer de rigoler, mais la mentalité n’a pas changé. On n’est toujours pas tous ensemble. On se rend compte qu’après le foot, ce qui s’est passé à l’époque en sélection, c’est toujours pareil. 

Moi, aujourd’hui, je trouve qu’il y en a qui sont des faux-culs, excusez-moi du terme, et ils n’ont pas changé depuis. Je ne citerai pas de noms, ils se reconnaitront en lisant ça. Moi, j’ai toujours dit ce que je pensais. Je ne marche derrière personne, je ne souffre pas, je n’ai pas faim, je n’ai pas soif et, pourtant, c’est toujours mon nom qui est jeté en pâture. 

Cameroun, sélection 2012
De gauche à droite en haut : Samuel Eto'o, Joel Matip, Allan Nyom, Achille Webo, Henri Bedimo, Roland Ndy Assembe. En bas : Fabrice Olinga, Jean Makoun, Nicolas Nkoulou, Achille Emana, Jean Armel Kana Biyik. © Imago

Moi, je ne suis pas là pour montrer aux gens ce que j’ai ou pas. Le plus important, c’est de vivre le plus simplement possible. Les gens que j’aide au Cameroun, eux seuls le savent, je n’ai pas besoin de le dire et le faire savoir. Ça ne sert à rien. Les Camerounais veulent toujours prouver quelque chose aux autres, je n’ai rien à prouver à personne. Aujourd’hui, quand je rentre au Cameroun pour jouer sur un terrain de terre où j’ai grandi, moi je vois les gens m’insulter. Ils oublient que j’ai grandi là et que les petits avec qui je joue là sont contents de jouer avec moi et d’apprendre. 

“On fera le bilan de Samuel Eto'o à la fin de son mandat”

Avec du recul, quel regard portez-vous sur les prises de bec entre le président de la FECAFOOT, Samuel Eto’o, et Geremi Njitap, président du syndicat des joueurs ?

Je trouve juste que c’est dommage. Ce sont des papas, responsables. C’est dommage, parce que les deux veulent faire quelque chose de bien pour les joueurs camerounais, les jeunes joueurs au Cameroun. Les deux ont décidé de s’occuper du football camerounais, c’est dommage qu’ils n’arrivent pas à s’entendre.

Eux qui ont été des professionnels, des grands joueurs, des internationaux, des professionnels, qui connaissent les règles du jeu, ont voulu amener au Cameroun ce qu’ils ont pu apprendre en Europe, mais aujourd’hui, ils n’arrivent pas à s’entendre. Pour moi, c’est dommage et honteux, ils se clashent en public. Quelle image renvoie-t-on aux footballeurs camerounais ? Deux grands monuments, des légendes, qui font ça, il n’y a plus de respect. On ouvre la porte à tout cela.

Achille Emana, Cameroun
© Imago

Quel bilan dressez-vous de Samuel Eto’o dans ses fonctions de président de la fédération ?

Je ne sais pas comment il a basé son plan pour le football camerounais, je ne suis pas dedans, je ne sais pas du tout, donc je ne peux pas juger. Il sait ce qu’il a décidé de faire, en bien comme en mal. Comme je vous ai dit tout à l’heure, il y a des pros et les contre. C’est dur de faire l’unanimité. Comme on dit, on juge le maçon au pied du mur. À ce jour, on jugera ce qu’il a fait. Dans toutes les fédérations, au bout de quatre ans, on te demande ton bilan. 

Moi, je n’ai rien à dire, ça ne me concerne pas, je ne suis pas partie prenante. Tout ce que j’attends, en tant que supporter camerounais, c’est de voir son bilan final, les résultats, c’est tout. Pas de polémiques là-dedans. À la fin de son mandat, on fera le bilan, c’est comme ça que ça fonctionne. Si le bilan est positif, on applaudira, on lui demandera de continuer à aller de l’avant. S’il est mauvais, on demandera aux Camerounais de juger et c’est tout. 

“Ça m’a surpris de lire que des places en sélection seraient monnayées, de mon temps, ça a toujours été au mérite”

On a entendu des voix s’élever pour dire que certaines places en sélection avaient parfois été monnayées. Avez-vous vécu cela de l’intérieur ?

Ça m’a surpris de lire ça. Monnayer, je ne pense pas que Marc Brys ait besoin de monnayer quoi que ce soit. Il y a des gens qui ont tendance à sortir des informations par intérêt, du n’importe quoi et tout le monde en parle… Ce sont des bruits qui existaient à notre époque déjà, mais on ne va pas se mentir, on était sélectionné au mérite. Si tu ne méritais pas, tu n’étais pas là. L’entraîneur choisit ses joueurs. Certains jugent que des joueurs doivent être pris parce qu’il vient de tel quartier, de telle ville, de telle famille… 

Regardez au Real Madrid, à la Coupe du monde des clubs, quand Kylian Mbappé était blessé, Xabi Alonso a fait jouer le jeune Gonzalo Garcia plutôt que Rodrygo par exemple. Et quand Mbappé est revenu, il a laissé le petit. Ce sont des choix. En Afrique, on est toujours en train d’extrapoler pour rien parce que ça nous fait plaisir. C’est dommage. De mon temps, ça a toujours été au mérite en tout cas.

Côté club, vous aviez été précurseur en rejoignant Al Hilal et l’Arabie Saoudite en 2011. Êtes-vous surpris de la nouvelle dimension du club et du football local ?

Pas du tout ! Chaque club essaie de s’améliorer saison après saison. Moi, quand j’y étais, il n’y avait pas le même engouement. Aujourd’hui, vous voyez bien qu’il y a une grande différence sur tous les plans. On ne va pas se mentir, l’Arabie Saoudite, c’est le pays de la fortune, donc ils ont mis les moyens pour avoir les bons joueurs, surtout des joueurs qui peuvent apporter de l’exposition. Ils l’ont prouvé lors du Mondial des Clubs. Ce n’est pas quelque chose d’anodin. Si je suis surpris, c’est que je suis bête.

Les clubs essaient tous d’avancer. Ils ont par exemple pris Neymar. Même s’il n’a pas beaucoup joué, il a apporté un coup de projecteur sur le club, sur la ligue. Aujourd’hui, ils sont bien vus aux yeux de tous. Il y a aussi Laurent Blanc et Karim Benzema à Al Ittihad, c’est costaud. 

“Vous verrez au Mondial, l'ambiance au Mexique, ça va être quelque chose !”

Un mot sur la saison du Betis, votre ancien club, qui s’est malheureusement terminée par la défaite en finale de Ligue Europa Conférence contre Chelsea (1-4).  

C’est une très bonne saison. La déception, c’est juste cette défaite en finale, on est tous déçu, on aurait aimé qu’ils gagnent pour remporter un trophée pour les supporters. J’espère qu’ils feront le nécessaire pour cette année. 

Vous avez également joué au Mexique, à Cruz Azul et Atlante, à la fin de votre carrière. Comment voyez-vous le prochain Mondial 2026, qui se jouera en partie là-bas ? À quoi doit-on s’attendre en termes d’ambiance, de climat, de conditions de jeu ?

Je pense que j’y serai. Je pense que ça va être une très belle Coupe du monde, parce que le Mexique c’est un pays de football et ce qui est sûr et certain, c’est que ce sera plus qu’explosif, les supporters là-bas, tout le monde aime le football. Quand ils aiment un pays, un joueur, ils donnent tout, même si ce n’est pas leur pays. 

Quand vous allez voir les matchs au Mexique, ce sera encore autre chose qu’aux États-Unis. Il n’y a pas de problème particulier hormis l’altitude quand on joue à Toluca, où il n’y a presque pas d’oxygène, je me demande d’ailleurs comment ils font pour vivre là-bas. Mais à part ça, je pense vraiment que ceux qui seront là-bas vont prendre énormément de plaisir à jouer, parce que l’ambiance, c’est vraiment quelque chose. 

Entretien réalisé par A.P.

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Lantheaume Romain

Je suis tombé amoureux du foot africain avec Didier Drogba, puis j’ai découvert Afrik-Foot en 2013. Depuis, nous ne nous sommes plus lâchés !