Portés par le désir de rapatrier leurs talents nés en Europe afin renforcer leurs équipes nationales, plusieurs pays africains ont poussé la FIFA à revoir les règles du changement de nationalité sportive au fil des années. Flashback sur une saga mouvementée et toujours sujette à débat.
Avant que la FIFA ne s’empare sérieusement du sujet, la question des binationaux ressemblait à un vaste champ libre, sans aucune règle pour encadrer les changements de nationalité sportive. Dans les années 1950, il n’était pas rare de voir des joueurs comme Alfredo Di Stéfano, qui a successivement porté les couleurs de l’Argentine, de la Colombie puis de l’Espagne, ou encore Ferenc Puskàs, passé de la Hongrie à la sélection espagnole, défendre plusieurs maillots sans le moindre obstacle.
Face à ce flou total, la FIFA intervient pour la première fois en 1964, en instaurant l’interdiction de changer de sélection après avoir joué un match officiel en équipe A. Depuis cette première pierre, l’instance dirigeante du football mondial n’a cessé de revoir sa copie, opérant plusieurs ajustements majeurs, notamment sous l’impulsion des pays africains qui souhaitaient récupérer les talents d'origine africaine nés en Europe et formés dans les sélections de jeunes occidentales.

2004, le coup d’envoi du grand retour des binationaux
Le premier tournant majeur survient lors du congrès extraordinaire de la FIFA en octobre 2003 à Doha (Qatar), avec une réforme qui entre en vigueur début 2004. Elle permet aux joueurs binationaux n’ayant joué qu’avec des équipes de jeunes de changer de sélection jusqu’à leurs 21 ans. Cette décision répond à un intense lobbying de plusieurs fédérations africaines, soutenues à l’époque par des figures comme Roger Milla ou Abedi Pele, qui ont convaincu Joseph Blatter de la nécessité d’assouplir les règles.
La réforme produit immédiatement des effets concrets : Antar Yahia (Algérie) et Frédéric Oumar Kanouté (Mali), tous deux anciens internationaux français en équipes de jeunes, en profitent pour représenter leur pays d’origine lors de la CAN 2004.

Francileudo Santos, né au Brésil mais naturalisé tunisien, rejoint également la sélection des Aigles de Carthage et contribue à leur sacre continental cette même année. Ces exemples marquent le début d’une nouvelle ère où les sélections africaines peuvent enfin attirer de jeunes talents binationaux qui semblaient perdus pour elles.
Des garde-fous pour éviter les abus
Cependant, la FIFA constate rapidement des dérives inquiétantes. Le Qatar, notamment, naturalise à tour de bras des joueurs brésiliens sans le moindre lien avec le pays, dans le seul but de renforcer artificiellement son équipe nationale.
Le Togo suit le mouvement en intégrant plusieurs Brésiliens fraîchement naturalisés dans sa sélection pour les éliminatoires de la CAN 2004, alimentant la polémique. Pour contrer ces abus, la FIFA renforce ses exigences : désormais, tout joueur doit avoir un « lien clair » avec le pays qu’il souhaite représenter, que ce soit par la naissance d’un parent ou grand-parent, ou par une résidence d’au moins deux ans. Cette clarification freine les dérives tout en préservant l’esprit de la réforme.
2009, la fin de la limite d’âge pour changer de sélection
Un autre ajustement de taille intervient en 2009, lors du congrès de Nassau (Bahamas). La FIFA supprime la limite d’âge de 21 ans pour changer de sélection si le joueur n’a joué qu’en matchs amicaux en équipe A, facilitant encore la bascule pour les binationaux non retenus en compétition officielle.
Cette évolution est en partie le fruit du lobbying de la Fédération algérienne, menée par son président Mohamed Raouraoua, qui en tire rapidement profit : Mourad Meghni et Hassen Yebda, tous deux passés par les équipes de jeunes françaises, rejoignent les Fennecs pour la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud.

La réforme permet également à Eric-Maxim Choupo-Moting et Kevin-Prince Boateng, nés en Allemagne et internationaux allemands en catégories jeunes, de représenter respectivement le Cameroun et le Ghana lors de ce même Mondial sur le sol africain.

2020, la réforme « sur mesure » pour Munir El Haddadi
En septembre 2020, la FIFA opère un nouveau changement, cette fois sous l’impulsion du Maroc, pour résoudre le cas particulier de Munir El Haddadi. L’attaquant, né en Espagne de parents marocains, avait disputé 13 minutes avec la Roja en 2014 et restait bloqué par ce court passage.
La réforme adoptée permet désormais de changer de sélection sous plusieurs conditions : avoir joué moins de trois matchs A, n’avoir disputé aucun match en phase finale d’une grande compétition, avoir moins de 21 ans lors de la dernière sélection A, et ne pas avoir porté le maillot de l’ancienne sélection A depuis au moins trois ans. Grâce à cette réforme, Munir El Haddadi peut enfin rejoindre les Lions de l’Atlas. Idem pour les ex-internationaux A français Paul-Georges Ntep (Cameroun), Geoffrey Kondogbia (Centrafrique) ou encore Houssem Aouar (Algérie).
La Belgique veut refermer la porte
Aujourd’hui, alors que de plus en plus de binationaux privilégient les sélections africaines à l’Europe, un possible durcissement des règles pourrait de nouveau rebattre les cartes. Après la décision de Chemsdine Talbi de rejoindre le Maroc, Vincent Mannaert, directeur technique de la Belgique, milite pour un changement radical.
« Tu peux jouer pour la Belgique une fois puis partir pour une autre sélection. Chez nous, un joueur peut signer son premier contrat pro à 15 ans. Pourquoi ne pourrait-il pas prendre une décision pour sa nationalité sportive à sa majorité ? Et avoir 30 jours pour le faire ? », lance-t-il, appelant la FIFA à limiter la liberté de changer de nationalité sportive dès 18 ans et à harmoniser les conditions de naturalisation pour éviter, selon lui, des inégalités entre fédérations.
« Dans certains pays, il ne faut que quelques mois pour obtenir une nationalité. Dans d'autres, il faut cinq ans. La FIFA doit adapter ses règlements. »
Reste à savoir si cette volonté trouvera un écho auprès de l’instance mondiale.
