Désiré Segbe Azankpo : « Sadio n’a pas été respecté à sa juste valeur au Bayern »

Publié le par Yoro Mangara, actualisé le

Dans la seconde partie de cet entretien exclusif qu’il a accordé à Afrik-Foot.com, Désiré Segbe Azankpo revient sur le départ de son ami Sadio Mané de Liverpool et sa déception après l’échec à la CAN. L’attaquant béninois s’est aussi longuement exprimé sur les derniers mois difficiles vécus au Bayern Munich avec son ami. D’après lui, le club allemand a manqué de respect à la star des Lions.

Entretien réalisé par Yoro Mangara,

Plusieurs médias disent que votre passage au Bayern, Sadio et vous, est un flop. Que répondez-vous à ces confrères ?

Chacun a le droit de donner son avis. Si je peux répondre pour Sadio, que les gens le veuillent ou non, il est champion d’Allemagne. Il a gagné la Bundesliga. C’est un fait ! Me concernant, qu’ils aillent voir mes stats avec l’équipe réserve du Bayern (12 buts en 28 matchs). Ils m’avaient confié le brassard de capitaine. Ce n’est pas rien. Au Bayern, on ne confie pas le brassard à n’importe qui. Nous sommes en train de parler du Bayern hein, des Bavarois. Ils sont très conservateurs.

Les gens qui disent que nous n’avons pas réussi au Bayern, c’est quelques personnes qui ont 100 francs Cfa, qui ont acheté quelques unités sur internet et qui racontent des conneries. Les dirigeants du Bayern ont tout fait pour que je ne parte pas, ils m’ont proposé une revalorisation salariale pour que je reste, j’ai refusé. C’est ça la vérité sur mon histoire au Bayern. Ce n’est pas eux qui m’ont viré !

Pourquoi êtes-vous partis donc ? Parce-que votre meilleur ami est parti ?

J’ai mes raisons personnelles que je ne vais pas déballer ici. Le fait que Sadio soit parti a peut-être pesé sur la balance. Mais, comme je vous ai dit, j’ai mes raisons personnelles. J’ai la plupart du temps évolué seul sans Sadio Mané. Donc là, n’est pas le problème. Il y a eu d’autres raisons que je ne veux pas sortir dans la presse.

« Nous sommes des Africains, et chez nous, le respect ne se négocie pas »

Comment avez-vous vécu vos derniers mois en Allemagne, Sadio et vous, après tout ce qu’il s’est passé ?

Ecoutez, c’était pesant ! Je vais être honnête avec vous, c’était pesant. Je vais prendre l’exemple d’un violoniste dont j’ai oublié le nom qui est parti dans un métro chanter et qui n’a récolté que 30 euros alors que la veille, il avait rempli l’Olympia et que son instrument coûte plus de 3 millions. Vous voyez un peu l’idée ? Quel que soit ton talent, ça dépend de là où tu es. Dans certains endroits, ils ne vont jamais reconnaitre ton talent. Sadio est un grand joueur, mais au Bayern il n’a pas été respecté à sa juste valeur. Pour moi, quand le respect n’est pas servi à la table, il n’y a plus rien. Nous sommes des Africains, et chez nous, le respect ne se négocie pas. Nous pouvons tout négocier sauf le respect. Quand on n’est pas respecté, on quitte.

Sincèrement il a voulu rester pour prouver à tout le monde qu’il pouvait réussir au Bayern, qu’il en avait les capacités, qu’il avait les qualités pour réussir en Allemagne, mais avec ce manque de respect, il est parti. Et je le dis aujourd’hui, il a pris la meilleure décision pour la suite de sa carrière. Si tu es dans un club, que tu veux prouver qui tu es et qu’on ne te donne même pas l’occasion de la faire, à quoi bon de rester dans ce club ? Nous sommes en train de parler d’un footballeur qui a été deuxième au Ballon d’Or quand même !

Et pourtant ses statistiques étaient bonnes avant sa blessure ?

Bien sûr qu’elles étaient très bonnes. Chez moi on dit, “qui veut tuer son chien, l’accuse de rage”. Mais comme au club, ils avaient décidé que ça ne sera pas lui, il fallait qu’il parte.

« J’avais dit que ce serait difficile pour Liverpool de remplacer Sadio »

Puisqu’on parle des ex : depuis que Mané a quitté les Reds, Liverpool c’est zéro titre. Est-ce que votre ami manque à Liverpool ?

Je peux l’affirmer à cent pour cent. Je l’avais dit à mon entourage quand Sadio partait. Je leur avais dit que ça va être difficile de remplacer un mec comme Sadio. Je ne le dis pas parce que c’est mon ami. Je vous invite en tant que professionnel des médias d’aller revoir les matchs de Sadio à Liverpool. Avoir un joueur qui prend l’espace, qui court autant, qui élimine autant, qui fait autant de passes décisives et qui défend autant…

Au début, Sadio n’était pas buteur, c’était un excellent footballeur qui faisait briller les autres. Mais quand la presse s’est mise à le comparer aux autres qui marquaient beaucoup de buts, elle a titillé son orgueil et il s’est mis à travailler son adresse devant le but. Et il a progressé sur ce plan. Il préférait faire des passes décisives que de marquer. Et comme nous sommes aujourd’hui dans un monde de stats, il a travaillé ce côté buteur. Mais, moi, je ne vais même pas parler de ses buts, mais avoir un joueur qui défend autant sur le côté avec autant de bonnes stats… Si on veut le remplacer, bonne chance ! J’avais annoncé à mon entourage que Liverpool va gagner des matches hein, mais gagner des titres sans lui, ça ne sera pas facile. Et l’avenir m’a donné raison.

Désiré Segbe Azankpo, Dunkerque
© Iconsport

Vous qui êtes proche de Sadio Mané, comment vivait-il sa concurrence avec Salah ? Firmino a récemment révélé qu’il n’y avait pas un amour fou entre les deux.

Sadio est un grand professionnel. Il est aussi un garçon humble. Il sait d’où il vient. Et ça c’est important dans le milieu professionnel. Si nous sommes amis dans la vie, c’est justement parce que nous avons des choses en commun. Il savait mener ses guerres à lui, essayer d’atteindre ses objectifs qu’il s’est lui-même fixés sans pour autant perdre de l’énergie sur des choses qui vont t’éloigner de tes objectifs.

Il a été intelligent, a essayé de tirer son épingle du jeu pour le bien du club. Ce n’est jamais facile dans un club de football. Il y a toujours cette petite guerre interne, mais comme Sadio est un grand homme, ça ne s’est pas fait sentir. Si tout le monde l’aimait au club, c’est justement pour son comportement. Vous avez vu les récentes sorties de ses ex-coéquipiers sur qui était Sadio Mané. Quand tu sais d’où tu viens, tu vas savoir éviter les combats perdus d’avance.

« Sadio était dévasté après la CAN »

Sadio Mané a été éliminé en huitième de finale de la dernière CAN par la Côte d’Ivoire. Comment était-il après cet échec ? 

Il faut savoir ça de Sadio : rien n’est plus important que la sélection de son pays aux yeux de Sadio. Ça, il faut le savoir. Il mange, vit, respire pour son pays. Je suis patriote hein, attention, mais Sadio booste mon patriotisme. Quand je le vois faire et dire des choses pour son pays, j’ai envie de faire comme lui. Pour être honnête avec vous, je ne sais même pas s’il va aimer que je le dise, il a été dévasté. Il voulait aller jusqu’au bout, il voulait gagner la deuxième CAN pour son pays. Il était très déçu !

Quels ont été vos mots pour le réconforter ?

En bon ami, j’étais là. Je lui ai dit, que c’est le football. Il faut l’accepter. On ne peut pas toujours gagner. Ce que tu as fait pour ton pays est déjà historique. Tu as permis au Sénégal de gagner sa première et unique Coupe d’Afrique. Tu dois en être fier. Relève-toi et avance, il y a d’autres challenges qui t’attendent. Et puis, tu auras l’occasion de la soulever de nouveau cette coupe. Le Maroc, c’est dans un an ! Sadio a toujours envie de servir son pays, de gagner pour son pays. Et quand j’ai vu les messages des Sénégalais, je lui ai dit « tu vois cette marque de sympathie des Sénégalais à ton égard ? Relève-toi ! je sais que tu vas continuer à les faire rêver. »

Vous êtes international béninois, les anciens Ecureuils sont devenus Guépards, est ce que ça dope un peu plus les troupes ce changement de surnom ?

(Rires) Je ne sais pas si ça dope mais on n’a pas gagné depuis un an, ça c’est factuel. Après, l’espoir est permis après avoir vu les matches face au Sénégal (0-1) et à la Côte d’Ivoire (2-2). Je crois que, dans trois ans, le Bénin aura l’une des plus belles équipes nationales de l’Afrique.

Ça sera avec vous ?

Je suis un soldat, si la nation a besoin de moi, je répondrai présent (il n’a plus été appelé depuis septembre 2022, ndlr). Si j’ai mes jambes, c’est toujours avec fierté que je vais porter le maillot de mon équipe nationale. Comme je vous l’ai déjà dit, je n’ai aucun doute pour l’avenir de cette sélection. Sadio Mané, après notre match face au Sénégal à Amiens en amical, m’a dit que nous avons une belle équipe en devenir. Il m’a dit qu’il a été agréablement surpris du niveau de notre équipe nationale.

Et vous pensez qu’elle pourra faire mieux que votre génération, quart de finaliste en 2019 en Egypte ?

Je le crois sincèrement. Notre force a été la cohésion. Nous avions un groupe soudé, avec beaucoup d’énergie. Cette nouvelle génération peut faire mieux. Elle a du talent !

Désiré Segbe Azankpo : « Sadio n’a pas été respecté à sa juste valeur au Bayern »
Yoro Mangara

Journaliste, passionné de foot et grand défenseur du football africain.