Toni Conceição : “on m’a juste dit que j’étais viré par mail, mon limogeage du Cameroun a été un choc” [Exclu]

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Sélectionneur du Cameroun de 2019 à 2022, Toni Conceição a conduit les Lions Indomptables à la 3e place de leur CAN à domicile et jusqu’aux barrages de la Coupe du monde 2022. Finalement limogé sur décision du président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), alors fraîchement élu, Samuel Eto’o, quelques jours après avoir été confirmé par le ministère des Sports, le technicien portugais a récemment remporté son bras de fer au TAS. Pour la première fois, l’homme de 63 ans est revenu sur son expérience au Cameroun et les conditions de son limogeage dans cet entretien accordé en exclusivité à Afrik-Foot.

Entretien réalisé par A.P.

Toni Conceição, replongeons-nous dans vos souvenirs à la tête de la sélection du Cameroun. Comment cette opportunité s’est-elle présentée ?

C’était une surprise. Je ne m’y attendais pas du tout au moment où j’ai été sollicité. J’étais au chômage, je ne travaillais pas. J’avais eu quelques options que j’ai refusées. Puis un ami m’a parlé de la sélection du Cameroun, une des meilleures du continent africain, avec des joueurs de renom. J’ai trouvé le défi intéressant. C’était une expérience nouvelle pour moi, qui avais toujours travaillé en club. C’est quelque chose que je souhaitais pour ma carrière, mais c’est arrivé un peu plus tôt que prévu. Quand nous avons discuté plus sérieusement, c’était très agréable et nous avons relevé le défi. 

Le Cameroun sortait d’une CAN en Égypte quelque peu compliquée, avec des petits problèmes internes et des performances en deçà de ce qui était espéré. Nous avons cherché à faire un travail de fond, une petite révolution en appelant en sélection des joueurs plus jeunes, car nous savions que notre contrat pouvait nous emmener à la CAN et à la qualification pour le Mondial 2022, ce qui s’est passé. Nous voulions constituer un groupe de joueurs pour le moyen-long terme. C’est dans cet esprit-là que nous avons entamé ce projet.

C’était votre première expérience en Afrique. Qu’est-ce qui vous a marqué ?

C’était notre première expérience en Afrique, notre première expérience à la tête d’une sélection. Mais à travers mon parcours professionnel, notamment lorsque j’étais scout pour le SC Braga, j’ai plusieurs fois été en Afrique et je connaissais le football local. Ajoutez à cela les partenaires africains que j’avais eus au long de ma carrière de joueur, j’avais un minimum de connaissances du football et du footballeur africain. 

Le joueur africain est très fort physiquement et du point de vue technico-tactique, il a un potentiel énorme à exploiter. Il a souvent un football très brut, avec des conditions athlétiques au-dessus de la moyenne, une envie de réussir et de se servir du football comme d’un tremplin sportif mais aussi social. Je savais que j’allais trouver ce genre de joueurs. 

Je suis tombé sur un groupe qui voulait apprendre et avait soif de gagner. Il fallait simplement poser des bases simples en termes d’organisation et d’état d’esprit. D’abord, nous avons établi un noyau dur pour asseoir le système tactique de l’équipe, en approfondissant les liens humains et en amenant des joueurs qui apporteraient ensuite un plus à cette organisation. Nous avons pu réaliser un travail plus en profondeur durant les stages de préparation plus longs. Nous sommes tombés sur un groupe de joueurs habitués au football européen et à l’écoute. Nous avons fait un très beau travail. Nous avons atteint la demi-finale de la CAN 2022, éliminés aux tirs au but par l’Égypte, en pratiquant un beau football. Nous nous sommes aussi qualifiés pour le Mondial 2022 (les barrages plus précisément, ndlr) en battant la Côte d’Ivoire.

“C’est moi, sélectionneur, qui avait le dernier mot dans tout ce qui concernait l’équipe”

Vous sentiez-vous totalement libre pour effectuer vos choix et vos listes ou ressentiez-vous des pressions extérieures ?

C’était l’une de nos conditions lorsque l’on m’a proposé le poste, je devais pouvoir être totalement indépendant dans mes choix de listes, de composition. C’est moi, sélectionneur, qui avait le dernier mot dans tout ce qui concernait l’équipe. Ça a été respecté, sachant qu’en Afrique, ce n’est pas toujours le cas.

Avez-vous vu des failles dans l’organisation générale ?

Nous avons bénéficié d’excellentes conditions car, avec la CAN 2022 à domicile, les infrastructures étaient neuves. Nous avons pu profiter de tout cela sur ce plan. Il y avait cependant parfois des problèmes logistiques. Il est parfois difficile de se déplacer sur le continent. Venir d’Europe en Afrique n’est pas toujours aisé, c’est souvent très long. Nous demandions aux joueurs de venir tôt aux rassemblements. C’est compliqué de préparer une compétition avec un impératif de résultats avec ces considérations de timing. 

Nous avons sensibilisé le président de la fédération, le ministère des Sports, les dirigeants qui nous accompagnaient pour affréter des avions. Il y a eu du mieux mais il y a eu quelques couacs. Nous avons eu un grave problème lors de la phase de qualification pour le Mondial 2022. Nous sommes arrivés à Tanger le jour d’un match contre le Mozambique à 5h du matin alors que la rencontre était prévue à 14h… Il y avait eu un problème avec le vol affrété. Nous avons été retenus trop longtemps au Cameroun et nous sommes arrivés le matin même du match… 

Heureusement, cela n’a pas eu d’incidence sur le résultat d’un match que nous devions absolument gagner pour nous qualifier pour le Mondial. Les joueurs étaient très fatigués et nous avons dû aller chercher des ressources mentales chez eux pour finalement l’emporter. Malgré tout, l’organisation avait progressé. Les joueurs eux-mêmes me disaient qu’après notre arrivée, les choses se passaient mieux pour eux.

Quel bilan faites-vous de votre aventure à la tête des Lions Indomptables ?

Je considère que le bilan est très positif. Nous avons atteint nos objectifs, à part la finale de la CAN à domicile en 2022. L’équipe a terminé troisième, après une élimination aux tirs au but, un moment émotionnel particulier pour les joueurs, avec la pression du public, alors que l’effectif était court à certains postes. Le comportement des joueurs a été très bon selon moi, nous avons joué un bon football. Nous n’avons perdu que deux fois en vingt-quatre matches, contre la Côte d’Ivoire et le Cap-Vert lors de la période COVID-19 qui nous avait coûté six joueurs testés positifs.

“Mon limogeage n’était pas une décision sportive, le nouveau président souhaitait travailler avec des ‘gens de confiance'”

Malgré ce bon bilan, vous n’avez pas pu diriger l’équipe lors du Mondial 2022. Comment l’avez-vous vécu ? 

C’était un peu triste. Sincèrement, ça a été un choc. Nous avions prolongé notre contrat un mois et demi auparavant avec le ministre des Sports. Il était très satisfait de mon travail à la tête de l’équipe et m’avait offert de rester jusqu’au Mondial 2022. Il y a eu un changement à la tête de la fédération, avec l’arrivée de Samuel Eto’o à la présidence quelques jours avant la CAN. Nous obtenons la médaille de bronze, qui n’est pas à jeter et qui reste quelque chose de positif pour la sélection et le pays même si nous voulions gagner le titre évidemment. 

Après ce match, j’ai été convié à une réunion avec M. Eto’o pour organiser le stage à venir. Idem avec le ministre des Sports. Tout le monde était content. Les Camerounais aussi. Nous étions concentrés sur les objectifs à venir. Je suis rentré au Portugal pour dix jours de vacances, car je venais de passer deux mois loin de chez moi et j’ai reçu un mail pour me dire que j’étais remercié quelques jours plus tard. C’était évidemment très triste. Plusieurs joueurs m’ont appelé pour savoir si l’information était vraie. Je leur ai confirmé. Ils étaient déçus car nous avions créé des liens forts de confiance dans le travail, des liens d’amitié, il y avait une bonne ambiance de travail. Les joueurs qui m’ont contacté m’ont dit qu’ils étaient tristes. Mais la vie a continué pour eux, a continué pour moi. C’est comme ça. 

Toni Conceição, Cameroun, sélectionneur
© Iconsport

Je ne sais toujours pas pourquoi j'ai été limogé. On m’a juste dit par mail que j’étais viré. On m’a remercié pour mon travail mais on m’a dit que le nouveau président de la fédération souhaitait travailler avec des ‘gens de confiance'. C’est ça. Ce n’était pas une décision sportive car l’équipe était en progression. Quand je suis arrivé, nous étions 58es au classement FIFA. Quand je suis parti, nous étions 33e. On était sur la pente ascendante et nous avions insufflé quelque chose de nouveau en sélection, avec de nouveaux joueurs, tout en restant compétitifs. Il y avait aussi des joueurs binationaux que nous allions inviter à rejoindre la sélection, certains qui hésitaient encore. C’est mon successeur (Rigobert Song, ndlr) qui a bénéficié de ce travail de fond. Nous étions sur le bon chemin, nous travaillions sur le moyen-long terme pour donner de la stabilité à la sélection tout en travaillant les équipes de jeunes pour renouveler l’effectif à l’avenir en intégrant progressivement ces jeunes à la sélection principale.

Vous terminez troisième de la CAN 2022 à domicile. Expliquez-nous l’impact d’une telle compétition ?

Les Africains sont très attachés à leurs sélections nationales. Ils sont très chauvins. Les Camerounais n’échappent pas à la règle. Le pays s’arrête pour la sélection. J’en parlais récemment avec un ami. J’ai vu des choses surréalistes. Pour aller nous entraîner, nous avions quelques kilomètres à parcourir en car, il y avait des milliers de Camerounais dans la rue pour nous accompagner. C’est très rare en Europe. Là-bas, c’est comme ça à tous les matchs ! Et c’est comme ça dans tous les pays d’Afrique, au Cameroun, au Burkina Faso, en Afrique du Sud… 

Les Africains vivent leur sélection comme personne d’autre. Cela nous donne une responsabilité supérieure. On sent ce poids sur les épaules. Il y avait 29 millions de sélectionneurs. Nous devions gagner les matchs, c’est la règle et l’exigence du peuple. On a senti la chaleur des gens, l’affection, le respect pour cette équipe aussi. C’est beau à raconter, mais à vivre, croyez-moi, c’est encore différent. Cela a été une expérience fantastique. On portait la responsabilité de tout un pays. On transmettait ça aux joueurs pour les pousser à rendre tout ça sur le terrain au public. 

Quels sont les joueurs qui vous ont le plus marqué lors de votre passage ?

Il y en a eu beaucoup. Si je n’en citais que trois ou quatre, je crois que je serais injuste avec les autres. J’ai eu un super groupe de joueurs. Nous avons toujours senti la solidarité et le soutien des joueurs. Nous avions créé un lien de confiance. La plupart des joueurs ne savait pas qui j’étais quand je suis arrivé mais ils ont vite compris que je savais gérer un vestiaire, qu’ils avaient face à eux un leader, un homme qui comprend et qui connaît les joueurs. Nous avons créé une grande empathie au sein du groupe. 

Je recevais encore des messages de certains joueurs il y a peu de temps qui regrettaient encore mon départ. C’est ça qui est beau, c’est ce qui reste pour la vie. Nous avons su créer ça. C’était mon objectif en arrivant au Cameroun. C’est vite arrivé. J’ai eu beaucoup de bons joueurs qui m’ont aidé dans mon travail et qui ont eu des résultats, puisque, sur 24 matchs, nous avons gagné 15 fois, pour 7 nuls et 2 défaites seulement.

Le Tribunal Arbitral du Sport vous a donné raison dans votre litige avec les autorités camerounaises pour rupture abusive de contrat. Avez-vous enfin été payé ?

Tout est réglé, ça y est. Ça a duré pratiquement trois ans mais ça y est, tout est réglé. Il ne pouvait pas en être autrement. Mais moi, sincèrement, j’aurais préféré honorer mon contrat, car je prenais beaucoup de plaisir dans ce travail que nous étions en train de réaliser.

Quel est votre opinion sur le comportement de la sélection depuis votre départ ?

Je continue à suivre les matchs du Cameroun oui. Ils sont dans un duel très serré avec le Cap-Vert pour la qualification au Mondial 2026. Ils n’ont plus leur destin entre leurs mains (entretien réalisé avant le match contre l’Angola, ndlr). Je regarde leurs matchs. Je les ai suivis lors du Mondial 2022 au Qatar. Je suis toujours le football africain, j’aime beaucoup ça.

“Marc Brys n’est pas dans une situation facile au Cameroun, mais il fait son travail et plutôt bien”

Connaissez-vous le sélectionneur actuel des Lions Indomptables, Marc Brys, et comment voyez-vous son travail ?

Je n’ai pas eu de contact avec lui. Je crois qu’il fait un travail positif dans des conditions compliquées, puisqu’il y a une guerre ouverte entre le ministère des Sports et la fédération. Il est pris au milieu et tente de gérer de la meilleure façon. Ce n’est pas facile pour lui. Il a été en conflit direct avec le président de la fédération aussi. Mais il fait son travail et il le fait plutôt bien, il est à la lutte pour la qualification pour le Mondial et a facilement qualifié l’équipe pour la CAN au Maroc en décembre. Il est dans les clous. 

Avec ce que vous avez vécu et ce qu’il traverse, vous sentez-vous solidaire de Brys ?

Je ne peux pas me sentir solidaire, parce que je ne connais pas en profondeur ce qu’il est en train de vivre. Mais, de ce que j’ai lu, je peux essayer de comprendre les problèmes qu’il a et donc je comprends qu’il n’est pas dans une situation facile. La seule chose que je peux dire, c’est qu’il doit se concentrer uniquement sur son travail, le jeu de son équipe, les joueurs, les avoir de son côté. S’il y arrive, il aura plus de chances de gagner. Le reste, il ne peut pas le gérer.

Est-il vrai que vous aviez été contacté pour un retour en mars 2024 ?

C’est vrai oui, on a parlé avec moi. On a discuté de cette possibilité au départ de Rigobert Song pendant presque une semaine. Mais je leur ai répondu que tant que notre litige n’était pas réglé, revenir au Cameroun n’avait aucun sens. Ils avaient déjà été condamnés par le TAS, mais n’avaient toujours pas payé. Les conditions n’étaient pas réunies pour que je revienne aussi tôt au Cameroun. Ils ont opté pour Marc Brys et ils ont bien fait.

Toni Conceição, Cameroun, sélectionneur
© Iconsport

Vous ne travaillez pas depuis la fin de votre aventure au Cameroun. Pourquoi ?

Tant que mon cas n’était pas réglé devant le Tribunal Arbitral du Sport, mon avocat m’a conseillé de ne pas reprendre de poste. Cela a duré deux ans et demi malheureusement. J’ai reçu quelques propositions, mais sur des marchés qui ne m’intéressent pas spécialement. J’ai eu de belles offres sur le plan économique mais ce ne serait pas forcément bon pour ma carrière. Je privilégie le projet sportif, le côté économique n’est pas le plus important pour moi. J’ai par exemple décliné des offres en Arabie Saoudite. Je cherche un projet où j’aurai le temps de mettre en place mes idées, où je serai bien accueilli.

Avez-vous été en contact avec d’autres sélections africaines ?

J’ai eu la possibilité, six mois après mon départ du Cameroun, de prendre une sélection plus modeste, mais avec de bons joueurs. Seulement, comme j’étais dans ce procès face au Cameroun, je n’ai pas donné suite. J’ai eu des offres de clubs aussi comme je vous l’ai dit. Je peux me laisser tenter par un club, mais je suis aussi disponible pour une sélection africaine. Mon passage au Cameroun et ma CAN 2022 m’ont laissé un goût d’inachevé et j’aimerais revenir pour réussir quelque chose de grand. J’aimerais revenir à la tête d’une sélection africaine ambitieuse, capable de se battre pour des titres ou une qualification au Mondial.

Entretien réalisé par A.P.

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Lantheaume Romain

Je suis tombé amoureux du foot africain avec Didier Drogba, puis j’ai découvert Afrik-Foot en 2013. Depuis, nous ne nous sommes plus lâchés !