Dix ans jour pour jour après la mort d’Albert Ebossé, la douleur est toujours aussi vive dans le cœur de ses proches. Mais surtout, les interrogations sur les circonstances de sa mort restent floues.
Le 23 août 2014, au sortir d’un match perdu avec la JS Kabylie contre l’USM Alger (1-2), et lors duquel il avait inscrit l’unique but des Canaris en transformant un penalty, Albert Ebossé est décédé sur le chemin des vestiaires. Dix ans plus tard, ni les causes, ni les circonstances du drame n’ont été élucidées. La première autopsie avait officiellement attribué le décès à un jet de projectiles, plus précisément une ardoise tranchante jetée depuis les tribunes du stade du 1er-Novembre-1954 de Tizi-Ouzou. Mais, la contre-expertise effectuée par les médecins légistes camerounais à la demande de la famille éplorée révèle un assassinat.
“Nous avons constaté une série de cinq lésions assez patentes qui ne corroborent pas la thèse avancée dans un premier temps par les autorités algériennes”, avaient indiqué les les docteurs André Mouné et Fabien Fouda après l’autopsie sur la dépouille du joueur passé de vie à trépas à 24 ans. “Le scénario vraisemblable est qu’il est rentré vivant dans les vestiaires. Il a été immobilisé, on lui a pris le bras gauche vers l’arrière et, en se débattant, son épaule s’est déboîtée. Il a dû se débattre et a reçu un coup sur le crâne, sur la calotte crânienne. Cela a fait vaciller les os de la base du crâne, d’où la présence de liquide céphalo-rachidien”, avaient-ils ajouté, photos choquantes à l’appui.
Une mort, plusieurs versions
Les contradictions du président de la JSK d'alors, Mohand Chérif Hannachi, décédé en 2020, ne feront qu'accentuer le flou. Lors d'une même interview, quelques jours après le drame, le dirigeant avait évoqué pêle-mêle trois possibles causes du décès : une soi-disant crise cardiaque sur le chemin des vestiaires, une possible glissade sur une flaque d'eau et enfin la thèse du projectile. “Le seul responsable de la mort d’Ebossé c’est l’arbitre Benouza. Il nous a privés d’un penalty valable“, avait-il ainsi lâché, sous-entendant donc que la colère du public aurait été fatale au buteur. C'est aussi la version de ses coéquipiers et d'Hugo Broos, alors coach de la JSK.
“Le match terminé, Ebossé se hâtait d’emprunter le couloir pour regagner le vestiaire. (…) Il avait incité d’un geste, les supporters à conserver leur calme. C’est alors qu’il a été touché à la tête par un projectile. Pas par une pièce de monnaie mais par une pierre, un pavé d’un kilo peut-être. Ce projectile l’a tué (…). L’agressivité est permanente en Algérie. Les incidents graves émaillent le championnat toutes les semaines. Mais ce samedi, j’ai vécu l’apocalypse (…) On n’arrêtera jamais le coupable, on ne le retrouvera jamais. Car les infrastructures sont pour le moins défaillantes“, avait déploré le futur vainqueur de la CAN 2017 (avec le… Cameroun) et 3e de la CAN 2023 (Afrique du Sud) à La Dernière Heure.
Autres faits troublants : comment les supporters ont-ils pu avoir accès aux tribunes situées au-dessus du tunnel, interdites d'accès depuis 2001 ? Et pourquoi le tunnel d’accès au vestiaire n’a pas été déplié afin de protéger les joueurs durant leur sortie ? Et enfin, pourquoi les grilles du stade ont été ouvertes en seconde mi-temps, laissant la possibilité aux supporters d'aller et venir, et possiblement d'aller chercher des pierres dans un chantier voisin ?
“Ils ont tué mon enfant, tel un chien”
Pour ses manquements, la JSK sera lourdement sanctionnée, écopant de six mois de matches délocalisés et à huis clos, entre autres. Plus tard, elle versera une somme de 9 millions de FCFA (environ 13 600 euros) pour les obsèques du natif de Douala, comme confirmé par la famille à RFI. L’une des sœurs de la victime, Nyamsi Bojongo Jeannette, évoque une somme de 100 millions (151 492 €) perçue plus tard, mais à l’heure actuelle, aucune autre source digne de foi ne confirme cette version. Depuis, c’est l’omerta. Et à la famille de rechercher désespérément des réponses. Ils ont tué mon enfant, tel un chien”, a sangloté la mère du défunt dans des propos relayés par le média français. Mais qui ? Comment ? Et surtout pourquoi ?
Le père de l’ancien attaquant, Anderson André Bojongo, a entrepris un véritable parcours du combattant en quête de vérité, auprès de la direction de la JSK, de la chancellerie algérienne au Cameroun et même des autorités camerounaises. En vain. “Il s’est épuisé à la tâche et est mort sans jamais avoir pu réussir à faire toute la lumière sur ce dossier”, a amèrement raconté Hughes Bojongo, l’un des frères aînés d’Ebossé.
Promesses non tenues
Pour enfoncer le clou, le club kabyle n’aurait pas honoré ses promesses émises lors des funérailles de son ex-joueur, dont la principale, à savoir prendre en charge la fille de ce dernier, jusqu’à sa majorité, informe RFI. À ce jour, l’orpheline doit sa scolarisation à sa grand-mère. Pour les 10 ans de la disparition de son ancien héros, la famille avait envisagé des hommages avec en clou du spectacle un match gala avec la participation des représentants de la JSK en guise de réconciliation entre le club, la famille et les supporters camerounais. Cependant, ce projet est vite tombé à l’eau, après s’être heurté au silence des parties concernées, comme confié par Hughes Bojongo à RFI. Les septièmes du dernier exercice de Ligue 1 Pro Mobilis ont également rompu tout contact, abandonnant à la famille le douloureux souvenir d’une mort inexpliquée.