Légende du football congolais, Youssouf Mulumbu (42 sélections et 1 but entre 2008 et 2019) a rangé les crampons en 2024. Alors qu’il vient de publier un roman, Talo, l’ex-capitaine des Léopards s’est confié dans cet entretien exclusif accordé à Afrik-Foot. Le milieu de terrain formé au PSG livre son regard sur la sélection congolaise à l’approche des barrages de la Coupe du monde 2026, pour lesquels il pourrait accompagner les Léopads. L'ex-joueur de 38 ans se prononce aussi sur la CAN 2025 et la situation plus générale du football congolais.
Entretien réalisé par A.P.
Félicitations pour Talo, votre premier roman paru aux Éditions Jets d’Encre. Comment cette idée est-elle née ? D’où l’inspiration vient-elle ?
Le rythme du livre, c’est un peu toute ma vie. J’ai eu une éducation des deux côtés, avec le Congo et la France. J’ai toujours eu une relation particulière avec mon pays d’origine. J’ai eu l’occasion de parcourir mon pays, pendant de longues années en tant que capitaine de la sélection du Congo. J’ai voulu partager un peu ce qui se passait dans mon pays, dans certaines zones où les gens n’avaient pas forcément d’exposition. J’ai voulu me faire le porte-voix des personnes un peu oubliées.
Mes inspirations ? Un peu d’imagination, de vécu, comme sur les banlieues, sur la beauté de Paris, un peu d’imaginaire. Je suis beaucoup attaché à mon pays. J’ai essayé de mélanger un peu tout ça et de le rendre accessible à tout le monde et, surtout, de faire en sorte que ça ne prenne pas de virage politique. On sait tout de suite que, quand on parle de minerais, on parle des conflits géopolitiques. Mais j’ai voulu que ce soit accessible à tous et sans polémique.
Certains des thèmes évoqués sont sensibles. Avez-vous eu peur de heurter ?
À aucun moment je n’ai eu peur de heurter. Il y a le passage en Algérie, où je ne maîtrisais pas trop. Ça fait partie de l’histoire des deux pays, la France et l’Algérie. C’était important pour moi de remettre un peu de contexte et un peu de réel dans ce livre. Mais à aucun moment je n’ai eu peur de quoi que ce soit. Ce livre, c’est plus un partage, une question que je pose aux lecteurs, par rapport à ces minerais, à ces téléphones, à ces véhicules électriques, qu’on utilise et consomme tous les jours. Je voulais demander aux lecteurs, sommes-nous complices ? Sommes-nous à l’origine de tout ça ?
Est-ce que ça vous trottait déjà dans la tête quand vous jouiez ?
J’ai commencé à écrire en 2018, sur mon téléphone, sur mon bloc-notes, j’ai écrit une histoire sans pour autant penser qu’un jour j’allais publier ce livre. Petit à petit, j’écrivais tout ce qui me passait par la tête, je notais tout ce que je pouvais voir, les histoires que les gens me racontaient quand je passais au Congo, que les enfants qui travaillaient dans les mines que je rencontrais m’expliquaient. J’essayais de tenir un fil.
J’ai eu la chance de pouvoir rencontrer les maisons d’édition Jets d’Encre, qui m’ont accompagné, qui m’ont conseillé. Et je pense que la mayonnaise a pris. J’ai sorti ce livre avec beaucoup d’appréhension, parce que, quand on est sportif, on est plus habitué aux autobiographies. Mais j’ai pensé qu’il était plus juste de parler de toutes ces personnes prises dans ces conflits à l’Est du Congo.
“Changer l’image du footeux ‘qui n’a pas de cerveau et court juste derrière un ballon'”
Avez-vous connu d’autres joueurs avec des hobbies originaux dans les vestiaires au cours de votre carrière ?
On a Guillaume Hoarau qui est musicien et chanteur. Djibril Cissé qui est DJ évidemment. Chris Mavinga, mon ancien collègue au Paris SG, est pilote d’avion et aussi DJ à ses heures perdues. Pas mal de joueurs qui ont des hobbies originaux.
Un sportif qui écrit un livre, est-ce un tabou qui vous faisait peur ?
Je l’ai gardé pour moi, je ne l’ai pas dit quand je jouais. Mais je ne me suis jamais mis de limite non plus, je pense que tout le monde a une histoire à raconter. Je pense aussi que j’ai eu les bonnes personnes qui m’ont entouré. Mais je n’ai jamais eu peur. Lorsque j’ai publié le livre, il y avait plus un esprit de surprise que de moquerie. Je pense que les gens sont agréablement surpris en lisant le synopsis et le livre. Il y avait une certaine confiance, même s’il y avait une certaine forme d’appréhension, car on sort de notre cadre quotidien pour rentrer dans un métier tout autre.
Avez-vous envie d’en écrire d’autres ?
Oui, forcément ! J’attends de voir comment le public va accueillir le livre. J’ai été agréablement sollicité pour l’adapter en film ou en série, on est en train de travailler dessus. Je suis agréablement surpris, content et positif, parce que ça va surtout mettre la lumière sur les conflits qui se passent à l’Est du pays. Ça va changer peut-être aussi l’image du footeux, qui « n’a pas de cerveau et court juste derrière un ballon ». Ce livre peut tout changer pour moi.
Au-delà de ça, j’ai aussi voulu écrire ce livre comme une forme de thérapie, avec ma manière de voir le monde, ses contradictions, sa beauté et les conflits. C’était aussi un moyen de communiquer avec le lecteur. Nous utilisons tous ces appareils, téléphones ou télévisions, etc., et à 70% les matériaux qui les composent viennent de l’Est du Congo, où il y a toutes ces zones de conflits. Je suis content que le livre mette la lumière sur ça.
Avez-vous des projets de livres sur le foot ?
Pour l’instant, je reste spectateur et fan du Paris SG, je suis tous les matches à domicile notamment. Je suis loin de ce milieu-là et de mon métier d’antan. Je pense que s’il y avait un autre livre, ce serait soit la suite de Talo, soit un autre sujet que le foot.
Comment la reconversion se passe-t-elle à part ce livre ?
Je suis entrepreneur en RDC. Je suis président de la Fondation FYM, qui vient en aide aux enfants démunis. Et je suis aussi ambassadeur d’une province au nord du Congo, Isiro. On est en train d’essayer de développer ce côté éducation, culture et sport là-bas. Ça nous prend beaucoup de temps avec nos équipes. Même si, dernièrement, j’ai pris du temps à faire la promotion du livre et répondre aux demandes concernant les adaptations possibles sur écrans. Mais il est sûr que je reviendrai dans le sport, soit via la fédération soit un des clubs où j’ai joués. Ça ne sort jamais de mon esprit.
“Ce ne serait pas une surprise si on me retrouvait au Maroc à supporter les Léopards pour le barrage face au Cameroun“
Justement, plongeons dans l’actualité. Le Final Four des barrages pour le Mondial 2026 approche à grands pas. Vous avez laissé entendre dans une interview à Onze Mondial que vous pourriez aider en étant présent aux côtés du groupe. Est-ce confirmé ?
Il y a des conseillers du ministre des sports qui m’ont contacté pour savoir si ça m’intéressait d’apporter mon expérience, ma motivation et être présent aux côtés des joueurs et du staff. J’ai dit oui. J’attends la confirmation, mais ce ne serait pas une surprise si on me retrouvait au Maroc à supporter les Léopards face au Cameroun pour le barrage de qualification pour la Coupe du monde 2026.
Avec aussi la récente nomination d'Hérita Ilunga au poste de coordinateur, est-ce qu'on peut dire que la Fédé ouvre enfin la porte aux glorieux anciens ?
C’est une très bonne nouvelle. Quelque part, on fait partie des dernières sélections où on n’avait pas d’anciens à des postes importants. Là, Hérita a déjà travaillé à la CAF et a un passé de joueur professionnel en Europe. Je pense qu’il va apporter ça à la fédération.
Au-delà du fait que la sélection se porte bien, il y a beaucoup de choses qu’il faut revoir, comme la qualité de nos maillots. On est chez Umbro mais, malheureusement, on voit que la qualité n’est pas au rendez-vous. Il y a beaucoup de carences en termes de retransmissions de nos matchs aussi. Ce sont des sujets sur lesquels la présence de Hérita va aider. Ce sont des détails mais ils font la différence sur une qualification ou le déroulé d’une compétition.
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Comment voyez-vous ces barrages ?
Ça va être très dur, ça va être très intense, mais au niveau de la motivation des joueurs, je n’ai absolument aucun doute. J’ai pu discuter avec certains, dont Cédric Bakambu, qui m’a assuré que le groupe était prêt à aller au charbon, qu’il y croyait et c’est le plus important. Sans manquer de respect au Cameroun, je pense que c’est le meilleur moment pour les affronter.
On a aussi nos armes à nous. Il ne faut pas seulement regarder l’adversaire. Il faut également se focaliser sur nous, sur nos forces, une belle assise défensive, avec des joueurs super talentueux offensivement. On a les arguments pour aller embêter cette équipe du Cameroun pour ces barrages-là. Je suis 100% positif sur les chances qu’on a de le faire.
Le Cameroun en demi, puis éventuellement le vainqueur de Gabon-Nigeria, puis ensuite le barrage intercontinental, ça promet du lourd pour aller chercher cette place tant désirée.
On a donné le bâton pour se faire battre. On a été premiers durant quasiment toute la qualification, mais on a perdu face au Sénégal (2-3 en octobre, ndlr). Les joueurs ont à cœur de se racheter et ils savent que cette qualification, au-delà du sport, est très importante pour notre pays. Ils l’ont en tête. On s’est mis dans cette situation. À nous de nous en sortir.
Tous ces matchs compliqués, il va falloir le faire. Tant qu’il y a de l’espoir, tant qu’il y a 90 minutes à disputer, on va les jouer. On a les atouts pour aller inquiéter toutes ces équipes-là. Je suis relativement confiant dans la course à la qualification.
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Quelques semaines plus tard, ce sera la CAN, toujours au Maroc. Comment sentez-vous cette compétition ? Quels sont vos favoris ?
Les résultats des barrages vont influer sur la préparation de la CAN. Il risque d’y avoir beaucoup de changements dans les équipes, que ce soit chez les joueurs ou les sélectionneurs. Avec la pression du public. Ces barrages-là et cette CAN seront décisifs pour les équipes qualifiées pour la Coupe du monde ensuite.
Concernant les favoris pour la CAN, je vois bien le Sénégal qui depuis plusieurs années garde ce rythme constant, avec des joueurs issus de grands clubs. On l’a vu lors des qualifications, malheureusement pour la RD Congo. Je dirais aussi le Maroc. Depuis la Coupe du monde 2022 au Qatar, ils ont gardé une ossature et ils ont un coach qui sait ce qu’il fait. Et puis, je dirais aussi le Congo, parce que le coach Sébastien Desabre avait fixé cette CAN comme objectif. On a été loin lors de la dernière CAN, au-delà de nos attentes. Là, avec les joueurs expérimentés, comme Chancel (Mbemba), comme (Cédric) Bakambu, ils vont pouvoir amener ce groupe-là à pouvoir aller jusqu’en finale. Je le souhaite de tout cœur.
Y a-t-il des joueurs qui vous plaisent particulièrement dans cette équipe, dans ce groupe ?
L’arrivée d’Aaron Wan-Bissaka, même si c’est difficile d’arriver comme ça en cours de route, a clairement rassuré cette assise défensive. J’aime bien aussi Yoane Wissa, que je connais depuis tout petit puisqu’on est issus du même quartier. C’est un grand joueur et j’espère qu’il va participer à cette CAN.
Et j’aime bien aussi Charles Pickel, qui est à mon poste, qui joue à l’Espanyol. Un profil défensif, un peu comme moi, hargneux, qui va chercher les ballons, qui fait le sale boulot et qui distribue bien, avec des qualités physiques, j’aime bien. Cette équipe est vraiment homogène, elle est équilibrée. Souvent, lorsque l’on n’a pas de star sur laquelle on s’appuie, ça tourne mieux, surtout sur une compétition qui va durer un mois.
Vous avez disputé plusieurs CAN en 2013, 2015, 2017 et 2019. Quelles sont vos plus belles émotions de CAN ?
Celle du Gabon, où on finit 3e, on rentre au pays et on voit la joie sur les visages du peuple, les enfants, les mamans. On se rend compte à ce moment-là qu’on est plus que des footballeurs. Une victoire ou une défaite sur un match ou une compétition, ça peut changer tellement de choses dans le pays. Je pense que c’est mon plus beau souvenir en sélection. Je suis de tout cœur avec l’équipe pour qu’il puisse donner ces mêmes émotions au pays que lors de notre retour à Kinshasa.
“On a fait le travail de l’ombre pour préparer le terrain pour les jeunes générations”
Vous comptez au total 42 sélections, pour un but marqué. Qu’est-ce que ça a représenté de porter ce maillot et d’être même très souvent capitaine des Léopards ?
De la fierté, un honneur. On est arrivé à un moment en sélection, où l’encadrement n’était pas structuré, pas professionnel. On était arrivé avec Cédric Mongongu, Parfait Mandanda, Larrys Mabiala à l’époque. On a pu faire le travail de l’ombre pour préparer le terrain pour les jeunes générations qui défendent aujourd’hui ce maillot-là.
On est encore plus fier quand on voit les résultats positifs. On est content lorsqu’on voit que de plus en plus de joueurs de grands clubs acceptent de venir et de jouer pour la sélection. Ça veut dire qu’on a fait un bon travail et qu’on a eu raison de faire tout ça.
Quel est votre meilleur et votre pire moment en sélection ?
Mon pire moment en sélection, ça a été le match nul RDC-Lybie (0-0, en 2013) sur lequel on joue notre qualification pour la Coupe du monde 2014 et on est éliminé parce qu’on rate un penalty à la 70e. Mon meilleur souvenir, je pense que c’est ma première CAN avec la sélection. On est en Afrique du Sud, il y a des joueurs comme Trésor Lua Lua, passé par Newcastle, Shabani Nonda, le grand Shaba, Trésor Mputu. On a une grosse équipe mais on fait trois matches nuls et on ne passe pas au tour d’après. C’était une expérience énorme de jouer avec de grands joueurs, de les voir au quotidien, de voir comment ils s’entraînent. J’ai beaucoup appris, c’était un de mes meilleurs moments en sélection.
Un mot sur votre expérience au pays, à St-Éloi Lupopo en 2021-2022. Quel bilan en faites-vous ?
Je suis beaucoup attaché à mon pays et j’ai eu un appel du gouverneur qui me dit qu’il aimerait me faire venir pour encadrer et avoir un poste au niveau du staff technique. J’en ai discuté avec ma famille et j’ai accepté. Je découvre le niveau qu’a la Ligue professionnelle au Congo. Malheureusement, le championnat est souvent interrompu faute de moyens, faute d’organisation. Je découvre de grands joueurs, des staffs qui travaillent comme en Europe. Maintenant, le Congo n’a pas encore les infrastructures, cette culture sportive qu’ont les autres pays comme le Maroc ou l’Afrique du Sud. Mais on a un vivier extraordinaire, une passion pour le foot qui est incroyable. Justement, le fait de pouvoir aider les joueurs là-bas, c’est une expérience que je ne regrette pas. Et ça m’a donné beaucoup d’idées pour aider plus tard si je suis amené à le faire.
Le club a obtenu sa qualification pour la phase de groupes en Ligue des Champions Africaine, reconnaissance du travail accompli ?
J’ai vu ça avec beaucoup de joie. C’est la continuité. Il y a eu énormément de retours de joueurs dans le championnat, comme Mukoku Amale, qui jouait en Afrique du Sud. C’est aussi le travail de visibilité qu’a donné mon transfert au Congo qui a joué.
Entretien réalisé par A.P.

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