Sénégal : “on a été complètement surpris…”, le vestiaire raconte l’éviction d’Aliou Cissé [Exclu]

Publié le par DOUCET PHILIPPE

A l’hôtel Terrou-Bi, sur la corniche de Dakar, le petit-déjeuner de ce mercredi est plutôt enjoué, malgré les yeux fatigués. Au retour de huit heures d’avion depuis Lilongwe (Malawi), les joueurs sénégalais n’en finissent plus de profiter des derniers moments ensemble. Signe d’un groupe qui continue de bien vivre malgré les soubresauts récents.

Bien sûr, les deux victoires du Sénégal contre un faible Malawi (toujours bloqué à… 0 point dans ce groupe L de qualification pour la CAN 2025) n’ont pas bouleversé le football africain. Néanmoins, beaucoup guettaient les premiers pas de Pape Thiaw dans le sillage d’Aliou Cissé, fraîchement et spectaculairement débarqué

« C’est vrai qu’on a été complètement surpris, témoigne Pape Gueye à table aux côtés de son père. On se serait attendu à être prévenu avant, plutôt que de l’apprendre par voie de presse. »

Présents à la table, Nampalys Mendy ou Gana Gueye partagent le même fatalisme. Pour autant, tous sont d’accord pour dire que la sélection n’a pas été plus troublée que cela lors de ce rassemblement.

« Pape Thiaw était l’adjoint d’Aliou, continue Pape Gueye. Il avait donc des rapports avec les joueurs dont il est proche. Sa nomination n’a donc pas été un bouleversement, même s’il y avait forcément une certaine attente à l’extérieur. »

Comme souvent depuis quelques années, Aliou Cissé était notamment en proie à une opinion rétive à un football très cadré. On attendait donc de Pape Thiaw qu’il libère cette équipe du Sénégal au potentiel offensif si imposant.

Pape Thiaw, sélectionneur Sénégal CHAN
© IconSport

Un premier match prometteur !

Le match aller a donné une idée des évolutions possibles. Avec Iliman Ndiaye en troisième milieu derrière l’attaquant, l’ancien attaquant messin Pape Thiaw a montré une voie qui a plu aux supporters sénégalais (4-0). Et installé une réputation bâtie lors d’un CHAN victorieux où son équipe avait beaucoup montré. Mais le match retour a vite rappelé qu’on ne peut pas toujours jouer ouvert de la sorte en Afrique. Notamment à l’extérieur sur un mauvais terrain comme le Bingu Stadium de Lilongwe. Avec un onze largement modifié, notamment au milieu où manquait Iliman Ndiaye pour faire ce liant offensif.       

Le match retour fut donc un long calvaire jusqu’à la libération et la qualification par Sadio Mané. On parle toujours de la nouvelle génération et du renouvellement de l’équipe. Du reste, celle-ci a été largement entamée par Aliou Cissé.

« Cela fait quelques temps que je ne joue plus les deux matches en entier », constate Gana Gueye, concurrencé par Lamine Camara et Pape Matar Sarr. 

La nouvelle génération, c’est donc enfin le premier but de Nicolas Jackson lors du match aller (le quatrième but) après 17 sélections vierges. But grandement fêté par tous ses coéquipiers, conscients des difficultés du buteur de Chelsea. Mais c’est finalement surtout Sadio Mané qui tire toujours les ficelles de cette équipe. 

Génération Sadio !

Lors du match aller, Sadio avait usé de son pied gauche pour libérer les Lions. Au retour, il a peiné devant le but, écrasant plus d’une fois sa frappe alors qu’il avait fait la différence par des appels toujours tranchants. Enfin, il a déclenché un raid de dernière chance qui devait se transformer en coup-franc aux 20 mètres. Parfaitement exécuté par le leader des Lions pour ce 1-0 synonyme de qualification.

La joie de fin de match a pu paraître quelque peu exagérée, tant ce groupe L ne présentait que peu de difficultés pour Sénégal et Burkina Faso, déjà qualifiés après quatre matches… Mais c’est faire fi des critiques et des sifflets après le nul à domicile contre le Burkina Faso (1-1) et la victoire in extremis (déjà) au Burundi (1-0). C’est oublier la polémique sur le départ surprise d’Aliou Cissé.

De fait, le sélectionneur sénégalais avait bien été confirmé par la Fédération. A preuve, malgré un contrat terminé le 31 août, l’ancien joueur du PSG avait entamé les qualifications en septembre. Et si on attendait le feu vert du Ministère des Sports pour la confirmer, la prolongation ne faisait guère de doute. Et puis, tout a traîné plus que de raison. Ce qui indiquait déjà une tendance négative. Très à l’écoute des critiques du peuple, le pouvoir politique a cru bon de trancher par une lettre confidentielle à la FSF… largement citée par le communiqué de presse de la Fédération

Un communiqué de presse symbolique

Ce communiqué de presse, signé seulement du Secrétaire Général Adjoint, est un condensé des problèmes actuels du football africain. L’organe d’un pays qui vient d’aligner un titre à la CAN, une finale et deux participations à la Coupe du monde en serait donc réduit à attendre l’argent public pour payer un sélectionneur ? Et à s’incliner et renoncer à son choix si le pouvoir ne suit pas ? Edifiant !     

Certes, le salaire d’Aliou Cissé avait grimpé avec le temps. Jusqu’à atteindre 45 000 euros par mois, en plus d’une prime à la signature de 100 millions de Francs CFA (150 000 euros). Mais on pouvait espérer mieux d’une Fédération installée au top du football africain que de simplement « prendre acte » de la décision du Ministère et remercier froidement Aliou Cissé pour sa « bonne collaboration ». 

Et les joueurs de regarder tout cela d’assez loin. « On nous a dit que Pape Thiaw, c’était pour deux matches, témoigne Pape Gueye. Alors on ne sait pas s’il va continuer ».

Bien sûr, les joueurs ne se livrent pas sur cette continuité. Comme s’ils avaient compris le message d’un Etat qui allait décider pour eux…

Pape Gueye, Lamine Camara, Sénégal
© Iconsport

Toujours la politique !

D’autant que la politique ne sera pas loin de la décision finale. D’abord, Pape Thiaw a gagné ces deux matches. Ensuite, la mode est à « l’expertise locale », quand bien même celle-ci serait formée à l’étranger. Ce qui ne devrait pas barrer les candidatures d’Habib Beye ou Omar Daf, par exemple. A moins que le deuxième critère évoqué (l’argent !) ne pousse à un maintien de l’adjoint Pape Thiaw. Au moins jusqu’à la fin de la qualification CAN en novembre…

Mais tout cela est naturellement bien fragile dans un staff où Pape Thiaw venait de remplacer le Français Régis Bogaert. Et dans un pays où vit Hervé Renard, deux fois champion d’Afrique et qui a la volonté de retravailler au plus vite dans une sélection. Des considérations qui ne seront pas abordées par la tablée… qu’il est temps de quitter. Car ce retour à Dakar n’est que très provisoire.

Si Pape Gueye part avec son père, Gana Gueye emmène quelques joueurs en ville. « Il faut quand même que je leur montre un peu le pays », sourit le premier enfant chéri sorti de Diambars. La mission accomplie, il rejoindra l’avion privé envoyé par son club, Everton pour le ramener avec les autres « Anglais » Iliman Ndiaye, Pape Matar Sarr ou Ismaïla Sarr. Car les voyages africains sont comme les petits-déjeuners. Ils ne sont jamais vraiment finis… 

Sénégal : “on a été complètement surpris…”, le vestiaire raconte l’éviction d’Aliou Cissé [Exclu]

DOUCET PHILIPPE

Journaliste ayant débuté à "Golf Magazine" puis le quotidien sportif "Le Sport".
Avant de plonger dans la télévision et Canal+ en 1989.
Commentateur de football et tennis.
Mais aussi créateur de la "palette" et des statistiques sur les grands directs et la Ligue des Champions.
Son engagement dans le sport africain remonte à la CAN 1992 et à toutes les CAN suivantes qu'il a suivi pour Canal+ Afrique.
Chroniqueur sur RFI dans "Radio Foot International".