Le Cameroun fait parler de lui à trois semaines du coup d’envoi de la CAN 2025 au Maroc, et pas forcément en bien. Samuel Eto’o, le président de la FECAFOOT, a pris des décisions radicales, en limogeant le sélectionneur Marc Brys et en écartant plusieurs cadres, dont André Onana, Vincent Aboubakar et Eric Maxim Choupo-Moting.
Finalement, faut-il vraiment s’étonner de cette énième crise qui secoue le football camerounais, lequel a le don de choisir la proximité d’une phase finale de CAN ou de Coupe du monde pour régler ses comptes ? Quelques jours avant l’Assemblée générale élective de la Fédération Camerounaise de Football le 29 novembre dernier, plusieurs acteurs ou observateurs du football local, dont des proches du ministre des Sports Narcisse Mouelle Kombi, avaient fait cette prévision :
« Si Samuel Eto’o est effectivement élu parce que le ministre n’aura pas réussi à faire suspendre le processus électoral, il y a de fortes chances que Marc Brys ne soit pas le sélectionneur des Lions Indomptables à la CAN. »
“Se priver d’un gardien de niveau mondial pour la CAN, c’est incroyable” pour Marc Brys
Cela n’a pas raté. Elu avec un score nord-coréen de 97,70 % – il était le seul candidat en lice – l’ancien attaquant a attendu quarante-huit heures pour annoncer le renvoi du Belge et du staff technique nommé par le ministère des Sports et son remplacement par David Pagou. Un peu plus tard, la FECAFOOT publiait la liste des joueurs convoqués pour la CAN, où les absences d’André Onana, Martin Hongla, Michaël Ngadeu, Eric Maxim Choupo-Moting et Vincent Aboubakar, lesquels entretiennent de très bonnes relations avec le sélectionneur, ne se pas passées inaperçues.
« Eto’o a évincé des joueurs importants, des leaders, car c’est évidemment lui qui a fait cette liste. Comment peut-on aller disputer un tel tournoi sans un gardien de niveau mondial, ou sans Aboubakar ? Parce que ce sont des joueurs qui ont du caractère, qui tiennent tête au président. C’est incroyable, mais ça ne m’étonne pas venant de quelqu’un de narcissique, qui pense qu’il est le plus beau », commente Brys pour Afrik-Foot. Sollicité par SMS, Vincent Aboubakar n’a de son côté pas souhaité communiquer. « Je ne donne pas d’interview, merci de votre compréhension », a répondu le joueur du Neftchi Bakou (Azerbaïdjan).
Le Belge, informé de son limogeage par la presse, n’a reçu aucune notification officielle.
« Ni de la fédération, ni du ministère des Sports. Moi, je suis sous contrat avec ce dernier. C’est lui qui m’a nommé, c’est lui qui verse mon salaire, c’est donc lui qui doit me dire si je suis limogé. Pour l’instant, je suis dans l’attente », nous explique l’ancien entraîneur de Saint-Trond, lequel est sous contrat jusqu’au 30 septembre 2026. « Je ne sais pas pourquoi il n’y a aucune réaction du côté du ministère des Sports. J’attends qu’on me dise ce qu’il en est. »
Silence radio imposé au ministère des Sports
En réalité, le ministre des Sports ne serait pas mécontent d’être débarrassé de cet énième conflit qui l’oppose à Eto’o, comme le confirme un proche de Narcisse Mouelle Kombi à Afrik-Foot. Le dossier est désormais du ressort du chef de l’Etat Paul Biya et de ses proches collaborateurs :
« Il y a eu des instructions venues d’en haut, c’est-à-dire de la présidence de la République, demandant au ministre des Sports de ne pas réagir. Car en annonçant le renvoi de Marc Brys et de membres de son staff, qui tous ont été choisis et nommés par le ministère des Sports sur instructions du chef de l’Etat Paul Biya, Eto’o semble clairement défier la présidence, et a en plus nommé un coach qui n’a aucune expérience internationale. »
Mais à ce jour, aucune fumée blanche n’est sortie du palais présidentiel d’Etoudi, où les chefs à plumes qui entourent Paul Biya semblent réfléchir à l’attitude à adopter à l’encontre d’Eto’o. Car celui-ci, s’il est détesté par certains de collaborateurs du chef de l’Etat, bénéficie de plusieurs soutiens, dont celui de la Première dame, Chantal Biya.
Marc Brys, qui touche un salaire mensuel de 45 000 euros, n’est évidemment pas disposé à s’asseoir sur ses dix mois de contrat.
« Si effectivement on me dit que je ne suis plus le sélectionneur du Cameroun, alors il faut le faire officiellement et me payer ce qu’on me doit, et aussi payer ce qui est dû aux membres de mon staff technique qui ont été renvoyés.» Rien qu’en prenant en compte le seul salaire du Flamand, la facture s’élèverait au minimum à 450 000 euros, en plus d’éventuelles indemnités. Une somme à laquelle viendrait donc s’ajouter celles revenant aux membres du staff technique victimes du grand coup de balai d’Eto’o.
“C’est facile d’être généreux avec l’argent des autres”
Une éventualité qui irrite au sein du gouvernement. Car après la CAN 2022, le président de la FECAFOOT avait obtenu, contre l’avis de Mouelle Kombi, le limogeage du portugais Antonio Conceiçao.
« Cela avait coûté près de deux millions d’euros, versés par l’Etat, donc par le contribuable. Le Cameroun traverse une période difficile sur le plan économique, et le renvoi de Brys et de certains de ses adjoints coûterait plusieurs centaines de milliers d’euros. Eto’o n’a qu’à assumer ses décisions et payer ces indemnités, puisqu’il raconte partout que la fédération a de l’argent. C’est facile d’être généreux avec l’argent des autres », ironise un proche du ministre des Sports. Une hypothèse peu probable, en raison de la réalité financière guère flamboyante de la FECAFOOT. D’ailleurs, selon les informations d’Afrik-Foot, l’Etat aurait décidé de ne reconnaître que le staff technique nommé par le ministère des Sports. En d’autres termes, cela signifierait donc que la fédération aurait à assumer les salaires et les primes des techniciens qu’elle a choisis.
C’est dans ce contexte délétère que les Lions Indomptables vont préparer la CAN au Maroc, lors d’un stage qui pourrait avoir lieu à Marbella, en Espagne. Mais sur ce point, la fédération n’a pas encore officiellement communiqué.
Alexis Billebault
Journaliste spécialisé dans le football africain depuis le début des années 2000, j'ai travaillé sur les 11 dernières CAN.