Quelques jours après le décès de l’ancien président de la Confédération africaine de football (CAF), le Camerounais Issa Hayatou, il est encore temps de souligner combien une page du football africain vient de se tourner. Et, à l’heure où la gouvernance de la CAF est sérieusement remise en question, il convient de souligner les acquis laissés par Issa Hayatou. Et la comparaison fait mal…
J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour Issa Hayatou. Pourtant, sa porte ne m’a pas toujours été largement ouverte. J’étais suspecté d’être trop critique par rapport aux tournois organisés par la CAF. Lorsque je faisais mon habituelle interview bilan vers la fin de chaque CAN, le natif de Garoua avait souvent la réplique fière. « Parce qu’en Europe, les pelouses sont toujours bonnes ? Et il n’y a jamais d’incident dans les tribunes en France ? ». Voilà les réponses rituelles que j’essuyais face à mes réflexions perfectionnistes pour la CAN…
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— Afrik-Foot (@afrikfoot) August 8, 2024
Pour autant, je ne parvenais pas à lui en vouloir. N’était-il pas, avant tout, une incarnation de la fierté de l’Afrique ? « C’était un patriote camerounais, mais surtout africain. Il a toujours défendu des principes et la souveraineté de l’Afrique dans ses décisions », témoigne son grand ami Seidou Mbombo Njoya. Membre du COMEX et responsable du protocole présidentiel de la CAF lors de la période Hayatou, il a connu Issa dès ses années de Directeur des Sports auprès de son père, alors Ministre des Sports.
« Il avait déjà une idée pour la CAF. L’Ethiopien Tessema étant un peu en bout de course, il a longuement préparé cette candidature avec mon père. Il était temps que ce soit l’heure de l’Afrique francophone qui dominait alors le football africain. » Le Cameroun avait gagné sa première CAN en 1984, après que les clubs camerounais aient dominé la scène continentale.
Un dirigeant novateur et efficace
Autre témoin de l’ascension du Prince de Garoua, Claude Le Roy se rappelle d’abord le Directeur des Sports du Ministère. « En fait, c’était mon interlocuteur en tant que sélectionneur. J’ai signé mon contrat avec lui. J’ai dû rencontrer le Président de la FECAFOOT au bout d’un an et demi en poste. C’était une personne nommée par la Présidence et qui vivait aux Etats-Unis. C’est Issa qui gérait la Fédération et c’était un super dirigeant. Il ne perdait pas son temps dans les discours. Il recherchait l’efficacité. »
Pour ceux qui ont connu la figure tutélaire seulement sur la fin, difficile d’imaginer le jeune dynamique Issa Hayatou. Bon athlète sur 400 et 800 mètres sélectionné pour les Jeux africains de 1965 à Brazzaville, il a aussi joué avec la sélection de basket et l’équipe universitaire de football. A 28 ans, déjà Secrétaire Général de la Fecafoot, il organise les championnats et contribue ainsi à faire briller les clubs camerounais sur la scène continentale.
D’emblée après son élection en 1988, il va afficher le même dynamisme à la tête de la CAF. Il aimait à rappeler qu’il avait trouvé des caisses vides en arrivant. Et qu’il était parti de la CAF en laissant 150 millions de dollars sur le compte. Entre sponsors et droits TV, il avait su construire une économie pour la CAF. Même si elle dépendait essentiellement de la CAN. Sa très chère indépendance était liée à ce niveau économique. L’exemple de la CAF actuelle, plus dépendante que jamais de la FIFA, valide la vision d’Hayatou.…
« Son défi aura été de redimensionner la CAF. Et vers le haut ! Il était en mission », assure Seidou Mbombo Njoya. Du coup, pas question de s’éloigner de quelques principes fondateurs. En premier lieu, il a défendu mordicus la CAN tous les deux ans. A la fois pour les indispensables ressources économiques. Mais aussi comme outil de développement des infrastructures sur le continent.
Des désaccords sur le sportif
Parmi nos sujets de désaccords, il y avait d’ailleurs une conséquence de cette louable obsession. L’organisation de la CAN dans des pays où l’on savait pertinemment que ces stades neufs finiraient en éléphants blancs… Dans nos discordances, il y avait aussi les formats des compétitions, répétitifs et mal ficelés. Quelques paresses dans l’organisation et les règlements sportifs, aussi. Et la médiocrité des arbitres et des pelouses… Quand politique et économie dominent trop le sportif, ça finit souvent comme ça. Et pas seulement à la CAF…
Pour autant, je n’ai jamais été fâché avec Issa Hayatou, avec qui l’on pouvait toujours discuter. Quoi que… « Le Cameroun avec Issa, cela a été presque quatre ans de bonheur, raconte Claude Le Roy. Même si, au départ, j’ai mis du temps à être légitime. Mais on ne s’est engueulé vraiment qu’une fois. Lors d’une demi-finale aux Jeux africains à Brazzaville. On mène 3-0 en demi-finale et je dis aux joueurs de lever le pied et d’en garder pour la finale. »
La réaction du Camerounais étonne encore aujourd’hui Claude Le Roy. « Le Cameroun ne peut se permettre de jouer comme ça », balance alors Issa Hayatou à son entraîneur. La fierté, toujours… « Je lui ai dit que le foot, c’était mon boulot et qu’il n’avait pas à intervenir. En plus, on avait gagné tous nos matches, dont des 3-0 en demi et en finale. On ne s’est pas parlé pendant plusieurs mois. Puis il m’a finalement invité à déjeuner et tout est reparti comme avant… »
Sur le plan sportif, on ne pouvait être d’accord avec tout ce que faisait la CAF sous Hayatou. Même si on lui doit une compétition originale, le CHAN. L’idée lui a été inspiré des années avant sa création. Entre autres, par Japhet Ndoram, Tchadien qui évoluait au Cameroun. Sauf que la formule adoptée ne l’aurait pas autorisé à la disputer… Puisqu’il faut jouer dans son propre pays !
Par contre, sur le plan politique, les fautes ont été bien moins nombreuses. Il y a, bien sûr, Cabinda et le Togo en 2010, sanctionné par la CAF après avoir subi un mitraillage en règle par des indépendantistes ! Pour se protéger de risques juridiques, la froideur de la décision avait heurté.
Un vrai défenseur de l’Afrique !
Mais, parallèlement, Issa Hayatou a toujours défendu l’Afrique. Il a ainsi fait payer cher son ralliement à Sepp Blatter. En Coupe du monde, l’Afrique est ainsi passée de 2 à 5 représentants durant son mandat. Et, à la chute de Blatter, c’est bien le Camerounais (le plus âgé de ses vice-présidents) qui a assuré l’intérim à la tête de la FIFA (2015-2016).
Paradoxalement, ce fut sans doute l’une des causes de la fin du règne d’Hayatou. Trop occupé, usé aussi par la maladie et les dialyses régulières, il s’est sensiblement éloigné de la CAF durant une année. « Il n’a alors sans doute pas su voir les transformations, gérer les jeunes loups, la nouvelle génération de la CAF », témoigne Seidou Mbombo Njoya, aujourd’hui vice-Président de l’instance. Il n’a pas non plus saisi les manœuvres de Gianni Infantino, arrivé à la tête de la FIFA. Et les trahisons de quelques proches qui, eux, avaient vu le vent tourner…
J’ai vécu l’élection de 2017 de très près. J’avais, en effet, été l’un des auteurs du documentaire sur les 60 ans de la CAF, diffusé la veille du scrutin aux Présidents de Fédérations. J’avais été étonné du nombre d’absents lors de cette diffusion dans une salle de cinéma d’Addis-Abeba. Mais personne ne s’inquiétait dans son entourage. Les certitudes d’Issa suffisaient à les rassurer…
De bonne humeur, Issa Hayatou avait même ouvert ce qui devait être son dernier dîner de Président à une large tablée, dont je faisais partie. Comme si rien ne pouvait arriver le lendemain matin… On s’était donc finalement apprivoisé. Plus tard, le vieux sage m’avait confié qu’il m’aurait proposé une mission à la communication de la CAF après l’élection… Je ne sais si j’aurais pu assumer une telle tâche. Mais j’avais été plutôt flatté de cette pensée.
L’échec de 2017 !
Dans l’après-2017, j’ai revu Issa Hayatou à Yaoundé où il avait conservé son modeste bureau de la CAF. Et même à Paris. Ceux qui l’ont vu encore plus tard, comme Claude Le Roy ou Seidou Mbombo Njoya confirment. « Il n’a jamais exprimé de remords quant à ce mandat de trop, l’usure du pouvoir. Il regrettait juste de ne pas avoir fait campagne… »
Si Issa Hayatou a donc connu une vie extrêmement riche, dont 29 ans à la tête de la CAF, il aura donc raté sa sortie de Président. Cela n’atténue que peu ses qualités de leadership qui manquent singulièrement à la CAF aujourd’hui. Hayatou a pu être un peu raide sur certains principes en son temps. Mais cela évitait de tanguer comme la CAF des années 2020…
🔴 Issa Hayatou, immense dirigeant sportif camerounais, est décédé ce vendredi des suites de maladie. Il avait 77 ans. #RIP 🕊️🌹🙏🇨🇲
▪️1986 – 1988 : président de la FECAFOOT
▪️1988 – 2017 : président de la CAF
▪️2015 – 2016 : président par intérim de la FIFA pic.twitter.com/J5pdi6iVq6
— AllezLesLions (@AllezLesLions) August 8, 2024